Année 1866 |
17 septembre 1866
Alfred-Auguste Cuvillier-Fleury à Alfred de Falloux
Paris, Passy, le 17 septembre 1866
Monsieur et très honoré confrère,
Vous avez raison ; j’ai écrit sur la correspondance de Madame Swetchine, je ne dis pas sans penser à vous, je ne suis pas capable d’un tel oubli ; mais sans aucune complaisance systématique. J’étais bien décidé à honorer par une liberté d’esprit absolue, la bienveillance que vous m’avez si souvent montrée. Ma résolution à cet égard n’était pas très héroïque, je le reconnais ; je ne courais pas grand risque, même si nos cœurs se fussent moins rapprochés et si nos intelligences se fussent moins comprises ; mais il me plaisait de rendre ainsi hommage à la noble confiance dont vous m’avez dressé une preuve si honorable, en m’appelant à exprimer un avis, après tant d’autres, sur cette grande et sainte renommée qui est votre ouvrage.
Madame Swetchine n’y songeait pas. Je ne sais rien de plus attrayant que de jouer ainsi, par la généreuse communication qui nous en est faite, des plus secrets trésors d’une âme d’élite, - rien de plus délicat et de plus périlleux que d’avoir à en faire le compte pour le public. Ce qui m’a soutenu dans ce travail, c’est la force même qu’un esprit si viril communique à ceux qui s’en approchent ; et c’est bien le sentiment de tout ceux qui m’ont lu, sans prévention malveillante mais sans admiration préconçue pour l’auteur des Lettres. L’un d’eux m’a dit « Madame Swetchine vous a réussi » il ne croyait pas dire si vrai. Moralement, c’est un succès que je souhaite à tout le monde.
Combien je vous remercie, cher et si honoré confrère, d’avoir accordé quelques mots de sympathique condoléance à nos afflictions privées. Nous avons été cruellement éprouvés, nous le sommes encore ! Veuillez croire à ma gratitude comme à ma toute sincère et affectueuse considération.
Cuvillier-Fleury
