Année 1868 |
12 mars 1868
Théophile Foisset à Alfred de Falloux
Dijon, 12 mars 1868
On me communique un perfide et grossier factum de M. Jules Morel inséré dans la Revue du Monde Catholique du 28 février dernier. Monsieur l'abbé a jugé piquant de mêler votre nom à ce qu'il dit du père Lacordaire, qui a eu le malheur de l'avoir pour condisciple au séminaire et de l'avoir trop longtemps traité en ami. Voici le passage en question : « Monsieur de Falloux avait encore tous les loisirs que la politique et l'académie devaient lui enlever plus tard, et il voulait ajouter la vie d'un saint, inscrit dans un grand cadre de la remarquable histoire de Louis XVI1 par laquelle il avait débuté dans la carrière littéraire. Or, le père Lacordaire eut la vénérable inspiration de lui désigner la vie de Saint Pie V2 que le conseillé et le conseillant ne connaissaient guère mieux l’un que l’autre….
« Presque consterné de la sublimité de son livre dont la sainteté et le génie du développement dans un sens tellement opposé au symbole constitutionnel, alors en possession de la foi publique, il (Monsieur de Falloux) sentit le besoin de conférer avec le père Lacordaire. L'illustre Dominicain plus consterné encore, était d'avis d'abandonner un gisement qui découvrait des trésors si différents de ceux qu'on cherchait. Mais son jeune ami, que la perte de ses premiers travaux sur un sujet incontestablement grandiose ne laissait pas insensible, ne se rendit pas à un expédiant aussi radical, et il faut s’en féliciter. L'écrivain s'arrête à un tiers parti plus conforme à ses tendances politiques. Certains événements plus agréables à l'opinion occupèrent le devant de la scène, et leur ampleur habilement ménagée suffit pour rejeter les autres dans l'ombre de l'arrière plan, quand ils ne resteront pas dans la coulisse. »
Auriez-vous, Monsieur l’extrême bonté de me dire si c'est en effet le père Lacordaire qui vous a indiqué comme but de travail l’histoire de Saint-Pie V et de rétablir pour moi dans leur vérité l'effet si méchamment dénoncé par M. Morel ? J'éprouve un immense dégoût à réunir ce qu'écrit ce monsieur. Mais c'est mon devoir de surmonter toute répugnance quand il s'agit de la mémoire du père Lacordaire.
Je vous demande pardon, Monsieur, de mon opportunité et je vous prie d'agréer une fois de plus l'hommage de mon dévouement le plus entier et le plus profond.
Foisset
Je prie monsieur de Falloux d’avoir l'extrême bonté de recourir à l'original autographe de la lettre du père à Madame Swetchine du 19 juillet 1841. Voici pourquoi.
Dans le volume imprimé, page 291, on lit « une autre bonne nouvelle c'est que le roi de Sardaigne vient d'écrire de nouveau à notre Maire général »
Or, j'ai sous les yeux une lettre du père du même jour (19 juillet 1841) à Monsieur de Montalembert, laquelle est littéralement conçue dans les mêmes termes, si ce n'est qu'il y a simplement le roi (sans plus ample désignation) ; Monsieur de Montalembert ajouté à l'encre rouge Louis-Philippe3.
Je désire réellement savoir si les mots de Sardaigne sont bien du père Lacordaire ou s'ils ne se seraient pas glissés dans la copie sous l'empire d'une divination erronée.
S'il s'agissait d'une lettre de Louis-Philippe, on comprendrait mieux ces mots, qui terminent l'alinéa en question : « cette lettre a produit un grand effet ici venant après ce qui s'est passé en hiver" ; ce qui s'était passé, c'était le discours prononcé à Notre-Dame sur la vocation de la nation française.
1Le premier ouvrage publié par Falloux s'intitulait Histoire de Louis XVI (Delloye Éditeur, Paris, 1840).
2Le second ouvrage de Falloux avait été consacré, en 1844, à une biographie du pape Pie V (Histoire de Saint Pie V), Paris, Sagnier et Bray, 2 vol.), réédité à diverses reprises.
3Louis-Philippe Ier (1773-1850), duc d'Orléans, puis roi des Français de 1830 à 1848.
