CECI n'est pas EXECUTE Juillet 1856

Année 1856 |

Juillet 1856

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Caradeuc, [juillet] 18561

Cher ami

Merci mille fois de cette seconde lettre et des bonnes nouvelles de Madame de Montalembert2. Nous en avions une impatience que vous m’aurez aisément pardonnée, et à laquelle Madame de Falloux été très vivement unie.

J’espère maintenant que vous allez commencer à plaider la cause du Bourg d’Iré et que vous l’aurez gagnée pour les premiers jours de septembre. J’écrirai bientôt un memento pressant à Albert De Broglie, mais c’est sur vous que je compte pour l’annoncer et pour le garder.

Lorsque je songeais à votre intervention près de Cousin, je recevais une lettre de l’évêque d’Orléans3 qui me disait vous écrire pour une rectification de l’article Hafout et il ajoutait : « avant cela nous ne pourrons plus rien auprès de Monsieur Cousin ; j’ai ouvert mon numéro avec avidité ; je n’ai pas trouver une ligne sur ce chapitre. Est-ce Cousin qui y a renoncé ? Est-ce vous qui avez refusé ? Vous comprenez que ce sont là deux situations fort différentes sur lesquelles je ne vous demande pas à cette heure des éclaircissements désormais inutiles, mais sans lesquels je ne puis me former à moi-même un avis sur l’opportunité de votre intervention directe. Mgr l’archevêque de Paris4 m’écrit en termes très affectueux pour moi, et très calme sur le fond de l’affaire, il vient d’écrire de nouveau au pape. Mon frère5 persiste à m’écrire que tout n’est pas perdu, mais mon espérance est plus qu’ébranlée, en tout cas j’écris au Mans avec une franchise sans réserve et à mon frère comme quelqu’un qui se sent très clairement mythifié, et qui veut bien qu’on le sache. Pour vos supplications il me serait impossible d’en articuler. Il est cruel de penser que si on nous donne réellement le temps nous finirons peut-être par trouver plus de droiture et de modération dans le philosophe que dans le cœur et la tête des meneurs de cette haineuse intrigue. En tout cas son adresse actuelle et aux Eaux bonnes (Basses Pyrénées).

Quant au silence, pour Veuillot, cher ami, je persiste à croire, après nous être promis à nous-mêmes, et après l’avoir annoncé au public, ce serait faire une trop belle part aux divagations de l’Univers que de leur reconnaître une importance, un caractère de nature à nous faire soudainement changer d’avis. Vous êtes trop connu, même de ceux qui vous attaquent le plus, pour qu’on vous prête ou qu’on admette de votre part un sentiment bas. Certainement il y a des esprits sur lesquels le Correspondant avait agi et sur lesquels réagit l’Univers. C’est ce va-et-vient inévitable de la faiblesse humaine. Mais en somme la campagne a été mal comprise et mal conduite par lui dans son propre intérêt. Ce n’est pas que j’en veuille conclure que nous devions abandonner le terrain, loin de là ; mais je crois qu’il faut y faire apparaître la face nouvelle de la même question. Je suis prêt à y concourir pour mon propre compte si je parviens à achever mon discours Molé6 sans avoir épuisé le bienfait réel des Néothermes7. J’ai vaguement dans la tête un plan que je mûrirais de façon à vous le soumettre de vive voix au Bourg d’Iré.

J’ai écrit à Paris pour savoir d’où en était la vente de ma brochure. Je n’ai pas encore de réponse. Mon frère, qui m’avait d’abord parlé de l’excellent effet produit à Rome ne m’en dit plus rien du tout et me parle exclusivement de l’affaire Cousin8, qui au fond sera la mesure bien exacte des dispositions intimes du pape, entre les insensés et les raisonnables.

On me demande que ce que vous souhaitez pour la distribution de la brochure et autrefois je savais qu’il y avait dans cette intention un argument archi épiscopal réservé. Je crois donc que ce côté .

Notre effort selon moi devrait se porter tout entier sur la reproduction par les journaux. Il faudrait que ceux de Paris donnassent le branle à ceux des départements qui ont toujours besoin de cette première impulsion. Henri de Riancey a évidemment manqué de franchise avec moi cet été et j’en éprouve un vrai chagrin de cœur. Sa défection est effrayante, plus ou moins volontairement il a passé sous la fourche de tous les pointus. Cela me fait supposer que vous aurez peut-être plus d’action que moi près de lui, parce que c’est contre moi pour le quart d’heure que certains susceptibilités légitimistes sont annoncées. Il faudrait d’ailleurs que la brochure de l’abbé trouva des échos en dehors même de notre presse habituelle.

Elle savait parfaitement de la compétence des Débats, et vous savez que je n’ai là aucun aboutissant ; si du reste une occasion quelconque se présente, je ne la négligerais pas soyez en sûr. Je vous embrasse de tout cœur.

Je serai au Bourg d’Iré lundi prochain.

1Car c’est en juillet que Falloux réside à Caradeuc en Bretagne.

2Marie-Anne Henriette dite Anna de Montalembert, née de Mérode (1818-1904), épouse de Charles de Montalembert avec qui elle s'était mariée en 1836.

4Mgr Sibour, Marie-Dominique-Auguste (1792-1857), nommé évêque de Digne en 1838, il avait participé à la lutte du clergé contre le monopole universitaire. Cavaignac l'avait nomma archevêque de Paris après la mort de Mgr Affre (1848). Rallié au coup d’État, il entra au Sénat en 1852. Il célébra le mariage de Napoléon III. Le 3 janvier 1857, il sera assassiné à Saint-Etienne-du-Mont, par le prêtre interdit, Jean-Louis Verger lui même totalement hostile au dogme et qui avait projeté d'assassiner le pape. A défaut, c'est l'archevêque de Paris qu'il choisira.

6Successeur de Louis Molé à l’Académie française, Falloux est alors en train de rédiger son discours de réception.

7Établissement parisien d'hydrothérapie.

8Le philosophe étant menacé d'excommunication pour certains de ses ouvrages. Voir lettres du 12 avril 1856 et du 14 avril 1856.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Juillet 1856», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1856,mis à jour le : 17/02/2022