CECI n'est pas EXECUTE 25 janvier 1860

Année 1860 |

25 janvier 1860

Marie Gagarin à Alfred de Falloux

Odessa, 25 janvier 1860

C’est le cœur tout plein encore des sentiments d’affection et de reconnaissance pour vous, très cher comte, sentiment qu’a fait déborder l’entraînante lecture des deux volumes de Madame Swetchine que je viens de terminer1, que je prends la plume pour répondre à votre chère et bonne lettre du commencement de cette année. Le comte Stroganof2 m’avait communiqué d’abord son exemplaire, puis j’en ai reçu un que m’avait expédié Monsieur Pierart, ce qui ne m’empêche pas de compter sur celui que vous m’aviez destiné, car il faut qu’il en reste un dans la bibliothèque du Majorat de Manzyr, comme propriété inaliénable, en mémoire de la fondatrice et de son amie. Je joins donc sous ce pli l’adresse du correspondant de notre libraire ici à qui vous aurez la bonté, n’est-ce pas, de faire remettre les deux précieux volumes, que bien des personnes ont le désir de s’en procurer des exemplaires et que cette voie une fois ouverte on n’en redemandera souvent. Mais que vous dirais-je du livre, il n’en doutait pas m’a captivée comme je puis dire aucun livre jusqu’ici ; il est incomparable, et vous avez bien droit à notre reconnaissance tout entière, non c’est peu dire, à celle de tous ceux qui aiment encore le bien, le goût exquis, joint à la profondeur et à la justesse des pensées. Vous n’avez pensé qu’à Elle en écrivant ce livre précieux mais vous avez beau vous effacer, votre cœur si plein de sensibilité, votre tact exquis percent toujours et réjouissent ceux qui vous aiment et partant heureux de vous rencontrer et de sympathiser avec vous. C’est mon cas, et c’est ce qui me rend votre travail encore plus cher. Mais vous parlez de deux volumes encore contenant des lettres, - paraîtront-t-il bientôt ?- Je le désire et l’espère. Mon mari3, dont la santé va beaucoup mieux grâce à l’hiver plus que doux, même chaud, que nous avons, a renoncé à son voyage, qui lui aurait procuré le plaisir de causer de vive voix avec vous, comme il en avait l’intention. Mon fils aîné seul4, (hussard en retraite) aura probablement l’occasion de voir Paris cet été, et, certes, je le munirai d’une lettre pour vous, puisque vous m’encouragez à vous le présenter. Votre compatriote5, qui vient d’avoir eu 14 ans, s’est voué aux mathématiques et étudie avec passion tout ce qui le rapproche de la vocation d’ingénieur civil, qu’il s’est choisie. Dans quelques années, il ira compléter ses études à Liège, et alors comment ne pas visiter Paris. D’ici là, il a encore beaucoup à travailler à la mine. L’autre aime les sciences naturelles et probablement il étudiera à fond l’agronomie et tout ce qui s’y rattache, pour devenir un homme utile à son pays dans une branche trop négligée jusqu’ici. Vous aurez déjà reçu, je pense, la réponse de ma belle-mère à votre envoi ; cette lecture aura renouvelé en elle les plus douces réminiscences et les affections les plus profondes de sa jeunesse que des liens si sacrés, unissaient à une sœur qui lui tenait lieu de mère. Elle m’écrit rarement à cause de sa santé toujours éprouvée, et je regrette bien de ne pouvoir causer avec elle de votre travail, qui déroule tout son passé. Mais me voilà au bout de ma feuille et obligée de terminer en hâte et vous priant d’accepter l’expression sincère de mon amitié reconnaissante.

P. Marie Gagarin6

1Falloux venait de publier Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, Paris, Vaton, 1860, 2 vols.

2Sergueï Grigorievitch Stroganov, comte (1794-1882), militaire et archéologue. Maire de la ville de Moscou, général de cavalerie. S'étant distingué lors de la guerre patriotique de 1812, il fut promu capitaine. Au cours de la guerre russo-turque de 1828-1829, il fut élevé au grade de major-général de cavalerie. De 1831 à 1834, il occupa le poste de gouverneur de Riga et de Minsk. Fondateur de l'Institut Stroganov des Arts et Industries de Moscou, membre honoraire de l'Académie des sciences (1827), il fut aussi Président de la Société des naturalistes de Moscou (1835) et le précepteur du tsarevitch Nikolaï Alexandrovitch de Russie.

3Eugène Grégorièvitch Gagarin (1811-1886), prince, conseiller d’État, passionné d’agronomie.

4Anatoly Gagarin (1844-1917).

5Feofil Gagarin (1846-?).

6Marie Alexandra, princesse Gagarin née Sturdza (1823-1890)


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 janvier 1860», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Année 1860,mis à jour le : 25/07/2022