CECI n'est pas EXECUTE 13 février 1861

Année 1861 |

13 février 1861

Charles de Lacombe à Alfred de Falloux

Paris 13 février 1861

Cher Monsieur,

Je vous aurais moi-même écrit si je n'avais été retenu par une petite indisposition qui m'a fait vivre en ermite et par conséquent loin des nouvelles. J'ai transmis vos précieuses félicitations à mon frère qui ne fait que passer à Paris pour y retenir à l'appartement où il sera, où ils sont devrais-je dire le lundi prochain rue de l'université, 28. Il les mériterait encore si je ne me trompe pour les articles que la Gazette a publié hier et aujourd'hui sur les lettres du nonce.

Il ne les a pas signés bien qu'à mon sens ils en valurent la peine. Cette affaire préoccupe beaucoup et il paraît que le corps diplomatique est tout à fait pour le nonce1. On dit que celui-ci aura aujourd'hui une audience de l'Empereur, et qu'il demandera l'insertion au Moniteur d'une note destinée à lui faire réparation ; à défaut, il quitterait Paris. Il y a longtemps qu'il en devait être parti. Mon frère2 vous a sans doute écrit ce qu'il apprend de Rome, que la brochure de Mgr Dupanloup a fait merveille, que les cardinaux en sont enthousiastes et que le pape s'en est exprimé dans les termes les plus élogieux à M. de Biron3 en ajoutant formellement que l'évêque d'Orléans avait interprété l'encyclique comme elle devait être interprétée, et qu'il le lui écrirait comme c'était son devoir. Le fera-t-il ? Cela tarde un peu et il y a là bas des gens qui se démènent comme des démons. Veuillot a trouvé que l'évêque d'Orléans s'en tenait au statu quo, et qu'il faisait bon marché des légations et du reste. Mgr de Mérode4 lui-même est révolté de ce commentaire ; Dieu le veuille. Ce n'est pas qu'il y ait lieu de se décourager, et quand je vous entends parler de la prostration du Correspondant, je m'en afflige. La dernière note n’était pas triomphante cela est vrai ; mais l'évêque d'Orléans a tellement bouleversé toute la situation qu'on serait seul à garder la première impression et qu'il n'y a pas plus lieu pour nous de nous abattre que pour Le monde de s’exalter. Il en reste toujours ceci de cette dure et courte épreuve qu'il conviendra désormais de veiller à son langage et de professer le moins possible tout en la pratiquant plus que jamais, l'alliance de la religion et de la liberté. J'espère que vous aurez applaudi au succès de Monsieur Cochin ; voilà pour le Correspondant une occasion d'ôter son crêpe !

Monsieur Thiers est toujours admirable. Il a assisté à une réunion des députés de l'opposition où se trouvait aussi Monsieur Berryer et tous deux ont manifesté la ferme intention de parler contre la convention. Il paraît que tous leurs collègues on été très bien et ont fort peu secoué Guéroult5 qui leur a demandé qu'on se tut sur cette question ; il a été fort malmené par nos illustres amis, et je crois que nous aurons deux beaux discours. En attendant, l'Opinion nationale devient de plus en plus le journal officiel. Le secrétaire de rédaction. Malespine6 y écrit d'autant plus contre les prêtres que le prince Napoléon prend plus d'influence.

J'ai vu hier soir Monsieur Autran7 et j'ai pensé à l'académie. Est-ce que les élections ne vont pas vous appeler bientôt, cher Monsieur ? Je verrai avec Boucher M. de Resseguier et de Bertou, à qui je vous prie de vouloir bien parler de moi ; mais je les supplie d'être vos précurseurs, et s'il se peut de vous emmener, ce serait plus sûr. Veuillez être notre interprète auprès de Madame de Caradeuc et de Madame de Falloux et croyez, cher Monsieur, à mon tendre respect.

Ch Lacombe

 

 

1Mgr Carlo Sacconi (1808-1889), prélat italien, nonce à Paris depuis 1853. Membre de la curie romaine, il fut nommé archevêque titulaire de Nicée et nonce apostolique en Bavière en 1851, puis en France de 1853 à 1860.

3Gontaut-Biron, Élie de, vicomte (1817-1890), diplomate et homme politique. S'occupant d’œuvres charitables sous l'Empire, il était entré en politique après le 4 septembre, se faisant élire en 1871 représentant des Pyrénées Orientales. Siégeant à droite, il se fit inscrire aux réunions Colbert et des Réservoirs. En janvier 1876, il fut élu au Sénat dont il sera membre jusqu'en 1883. Entre-temps, il avait été nommé par Thiers ambassadeur à Berlin, poste qu'il occupa du 4 janvier à sa démission en décembre 1877. Rentré dans la vie privée en 1882, il publia quelques articles remarqués dans le Correspondant, notamment (25 octobre 1889) contre l'alliance des monarchistes et des boulangistes.

4Mérode, Frédéric François Xavier de (1820-1872), frère de Mme de Montalembert, officier dans l'armée belge, il entra ensuite dans les ordres, puis devint camérier secret de Pie IX. Devenu par la suite son pro-ministre des Armées, il mit sur pied l'armée pontificale (1860). Il était peu favorable aux catholiques libéraux mais conserva des rapports d’affection avec Montalembert. On lui attribuait une grande influence sur les relations du pape avec le gouvernement français. En octobre 1865, il fit agréer au pape sa démission. En juin 1866, il sera nommé archevêque in partibus de Mitylène.

5Guéroult, Adolphe Georges (1810-1872), journaliste, homme de lettres et homme politique. Collaborateur de plusieurs journaux, il fonda en 1859 L’Opinion nationale. Député de 1863 à 1869, il ne joua pas un grand rôle au Corps législatif 

6Malespine, Alain (?-?).

7Autran, Joseph (1813-1877), poète français. Plusieurs fois candidat à l’Académie française, il était soutenu par les catholiques, son ami V. de Laprade, Thiers et Mignet mais combattu par Guizot et les libéraux, le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. Contraint de se retirer devant Octave Feuillet en 1862, il ne sera élu que le 7 mai 1868, en même temps que Claude Bernard.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 février 1861», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1861,mis à jour le : 26/07/2022