Année 1861 |
6 octobre 1861
Jules Janin à Alfred de Falloux
Passy, le 6 octobre 1861
Monsieur,
Je suis bien touché de vos nouvelles bontés pour moi, mais je me rapporte à l’intercession de votre sainte1 et je les trouve toutes naturelles.
Hélas non, je ne l’ai pas connue, et je ne la connais que par vous ? Elle aurait eu peur de ma renommée ; elle n’eut pas voulu du respect d’un mécréant, tel que moi, il lui fallait autour d’elle, des âmes recueillies, de bons esprits, une innocente causerie, une activité vertueuse, et pas de vertige et pas de fièvre, et rien de stérile ou qui ressemblât, à la fausse renommée, au vain bruit des parole sonores.
Vraiment tel que j’étais en ces temps-là je lui aurais fait peur.
Peut-être au milieu des tumultes et des menaces de 1848 (le glorieux instant de votre utile vie) si la sainte eut daigné lire en ces heures suprêmes les résistances d’un feuilleton, si elle eut compris que dans ces pieuses profondeurs un homme était resté, à ses risques et périls, fidèle aux vaines doctrines, aux libertés anciennes, au courage, au malheur, cette dame sérieuse eut servi à ces batailles de l’avant-garde, alors j’aurais trouvé grâce à ses yeux et ma chère femme, aujourd’hui, lorsqu’elle me lit, le soir de sa voix touchante, les lettres de Madame Swetchine, ou que sous ma dictée, elle écrit ses pages qui la font pleurer, n’aurait pas à me reprendre. Ah ! Disait-elle hier en relisant votre aimable lettre, c’est vrai pourtant que vous auriez pu la connaître, et recevoir sa bénédiction !
Voilà ma peine ! Encore suis-je assez heureux que votre illustre et digne amie ait inspirée, à son ami survivant, l’excellente pensée de me recevoir en sa bonne grâce et de m’accorder un peu d’amitié.
Je suis avec un grand respect Monsieur le comte de Falloux votre obéissant et tout dévoué serviteur.
Jules Janin
1Sophie Swetchine. Falloux qui vient d’écrire sa biographie envisage alors de publier sa correspondance.
