CECI n'est pas EXECUTE 1er mai 1864

Année 1864 |

1er mai 1864

François de La Bouillerie à Alfred de Falloux

En cours de visite, le 1er mai 1864

Cher ami, j'ai reçu votre si bonne et si aimable lettre, au fond d'un petit village de montagne où j'étais arrivé à cheval, vaille que vaille ; j'aurais voulu immédiatement vous dire combien elle m'avait touché : mais d'abord rien n'est moins disposé pour la correspondance, que les chambrettes de nos presbytères, ou c'est à peine si je trouve une table. Puis je tenais, avant de vous répondre, avoir pu lire entièrement, le beau livre1 que vous m'avez envoyé, Et c'est hier seulement que j'ai pu achever cette lecture. Elle m'a été une bien douce compagne de voyage : mais je n'ai pu lire que très lentement entremêlant chaque lettre de prédication qui ne la valaient pas et déranger à chacune des pages, par une procession ou une cérémonie. Je vous écris aujourd'hui, d'un village où je me suis également hissé à cheval hier soir, mais d’où je domine une ravissante vallée toute plantée de jolis bois de châtaigniers qui garnissent le penchant des montagnes, et semblent comme des touffes d'herbe au milieu des rochers. Sur la montagne voisine sont assises les trois tours ruinées d'un vieux château pris autrefois par Simon de Montfort, et qui dominant la petite rivière de l'Orbiel2 m'ont toujours rappelé les châteaux des bords du Rhin, tours et fleuves en miniature. Votre livre, cher ami, s'est très bien encadré pour moi dans ce joli paysage rien ne va mieux à un beau pays qu’une lecture qui fait plaisir. La première partie des lettres (la plus intéressante suivant moi) nous a rendu notre vrai père Lacordaire, Celui qui a enthousiasmé notre jeunesse, que nous avons applaudi et aimé qui a été, n'est-il pas vrai de la première inspiration sérieuse de notre vie : mais je partage un peu l’avis de vos Philosophes. Dans cette lutte mouvante entre deux grands esprits, c'est la correspondance qui l'emporte comme là, elle se montre bien, mais à un degré extrême, ce que nous l'avons tous connue véritablement mère ! Sage et tendre tout à la fois. Mais si tendre que sa sagesse se fait timide, tout en étant parfaitement sure d’elle-même, ce qui a été un des plus aimables traits de notre commune amie3. Hélas, j’aurais voulu que la mère suivit le fils jusqu’à la fin. Elle ne lui eut certainement pas permis tout son écrit sur le Saint-Siège qui m'a causé un chagrin profond. A part cela, Il y a eu un second charmant père Lacordaire, que ces lettres ne font pas assez connaître parce qu'elles s'arrêtent en 39, le père Lacordaire de Sorèze, élevant jusqu'à la hauteur de son génie le rôle modeste d'instituteur parlant à son collège, comme il parlait à Notre-Dame, dominant tout le Midi, lorsqu'il croyait ne dominer que sa pension, le père Lacordaire de l'académie de Soreze, que j’ose préférer à celui de la vôtre, illuminant le front de ses élèves de tous les rayons de gloire qu'il avait amassés et s'y mirant si bien en eux, que dans chacun de ces rhétoriciens, il s'imaginait voir un grand homme. Avec cela très simple, très bon, et cependant très grand seigneur chez lui, comparant volontiers l'escalier de Sorèze à l'escalier de Versailles, et passant la tête assez haute devant son jeune bataillon armé qui lui porter les armes, mais au surplus se faisant aimer et adorer de tout ce qu'il approchait. Le père Lacordaire de Sorèze serait certainement à lui seul une très intéressante étude. Elle sera en partie faite, je le suppose par le père Chocarne qui est sur le point de publier son travail et on m’en a dit beaucoup de bien. Pour revenir à votre livre, cher ami, je ne suis nullement surpris du succès qu'il obtient ; mais je suis persuadé qu'il aura toujours un intérêt de plus pour ceux qui comme nous, ont eu le bonheur de connaître intimement les deux correspondants. C'est une photographie excellente de deux admirables figures, et qui doit avoir sa place dans l'album de tous ceux qui ont aimé les deux modèles.

J'ose à peine, après cela, vous parler de mon volume à moi, cher ami, et cependant je veux vous répéter encore combien j'ai été touché de votre bon souvenir effectif à son endroit. Franchement, j'aurais été un peu chagrin que le Correspondant n'en dit rien. J'ai reçu, au sujet de mon travail une foule de très aimables lettres et une entre autres de Montalembert qui m'a été extrêmement précieuse. C'est, malgré cela, une très mauvaise condition d'être à 230 lieux d'un livre qu'on publie. Les vrais amis seuls peuvent combler les distances. Le beau pays que je vous ai dépeint ne m'empêche pas de pousser de gros soupirs vers l'Anjou, tâchons donc cette année de nous y voir mois d'octobre. Mille respectueux hommages à Madame de Falloux et tendres amitiés à vous.

Mgr La Bouillerie François Alexandre Roullet de

1Correspondance du Père Lacordaire avec Mme Swetchine que venait de publier Falloux.

2Rivière du Tarn.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «1er mai 1864», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1864,mis à jour le : 01/08/2022