CECI n'est pas EXECUTE 23 janvier 1866

Année 1866 |

23 janvier 1866

Charles de Lacombe à Alfred de Falloux

Paris, le 23 janvier 1866

Cher Monsieur,

J'ai remis ce matin même votre note, non sans en avoir pris pour moi un résumé, tant elle m'a parue précieuse et instructive ! Je ne suis pas content de la santé de notre ami ; il était assez souffrant ce matin, quoi qu'il ait voulu aller à la chambre et il se plaint de ne pas reprendre ses forces. Fasse le ciel qu'il soit tout à fait rétabli pour l'ouverture des débats qui heureusement se fera encore attendre ! J'irai le revoir prochainement et s'il a quelques questions à vous transmettre je le prierais de me les charger. Je n'ai pas manqué non plus de parler à Monsieur Berryer de vos dispositions. Il regrette tout en en riant que son mot sur la préférence qu'il donnerait à J. Janin1 se propage. Mais Henry Hunan à qui il l'avait dit, se faisant au contraire un devoir de le répandre pour qu'il arrive aux oreilles des intéressés, je ne fais nul efforts pour le décourager. D'après ce que je recueille il est peu question en ce moment des candidatures, et celle que nous redoutons, sommeille tout à fait ; mais elle peut se réveiller et c'est pourquoi il est bon de lui fermer d'avance toute chance de succès. Je n'ai pu encore voir Monsieur Villemain, on me dit qu'il serait très disposé à accueillir M. Darboy2. Est-ce bien sérieux ? Je tacherai de m'en assurer mais le personnage est si fantasque qu'on ne sait jamais son arrière-fond. La grande affaire, c'est de ne pas laisser entendre que, si Monsieur Darboy se présente on se croira tenu tout en le regrettant beaucoup de ne pas le repousser. Car Mgr Darboy se souciera de la bonne humeur de ces électeurs pourvus qu'il ait leur voix. C'est en ce sens que je parle à mes amis, lesquels <mot illisible> vous le confesser plus en dehors de l'académie que dedans. Je dois dire que cette impression pénètre difficilement dans leur esprit ; cette malheureuse pensée qu'il faut avant tout redouter les empiétements de Rome et que Mgr Darboy rend des services à cet égard, il est, comme quelqu’un me le disait encore hier soir, un garde-fou revient sans cesse dans les conversations ; je ne vous dis pas tout ce que je réponds à des objections dont je m'étonne que les cœurs si généreux ne voient pas, en ces temps-ci le côté honteux vous le devinez. Mais l'idée est fortement enracinée, et tel, qui flétrit un Rouland3 ou un Troplong4, accepte même autant leurs compagnons tout cela parce qu'il est mitré c'est-à-dire plus coupable.

Je suis très content de notre ami de Quimper5 ; il croit sans doute, ce que je ne pense pas, qu'il serait difficile de refuser le vote. Mais il est d'avis qu'on organise d'avance une partie qui empêche la candidature il n'a pas même demander au <mot illisible> de billets pour les <deux mots illisibles> afin de n'avoir aucune ombre d'engagement vis-à-vis de l'archevêché (il compte parler à Monsieur Legouvé6 des moyens de remettre en scène Jules Janin. On dit que Monsieur de Champagny7 est assuré de neuf voix ; certes ce serait une chose excellente. Mais arriverait-on à lui faire une majorité ? Monsieur Thiers prétend qu'il a des promesses de Monsieur Guizot ; mais il paraît qu’Henri Martin peut en dire autant. L'oracle est encore au Val Richer8. Je crois, cher Monsieur, qu'il sera bon que vous veniez un peu. J'y suis bien intéressé mais ce n’est pas mon désir que j’écoute en vous le conseillant, il y a un certain courant a donner aux idées et que vous ne pouvez imprimer que par votre présence. À Orléans9, on aurait naturellement des raisons spéciales de ne pas combattre la candidature si elle se présentait ; mais on trouverait déplorable qu'elle fut présentée. On appuie Monsieur de Champagny. Camille de Meaux est venu passer quelques jours ici ; nous avons longuement causé de ce sujet. J'ai reconnu de suite qu'il avait vu quelques-uns de nos amis dont le langage et la manière de voir ne s'accordent pas là-dessus avec ma conviction. Mais notre vieille entente s'est bientôt retrouvée et nous avons été ensemble parfaitement d'accord ; je lui ai parlé très vivement au nom du profond attachement que j'avais pour son beau-père10 de l’écueil où je redoutais de voir celui-ci engager sa gloire. Il m'a dit n'en avoir pas causé avec lui mais a tout à fait admis mes observations. Je ne conçois pas qu'on ne sente point que nous appuyer sur de pareils alliés c’est mettre l’honneur du côté du Monde au moins en apparence et achever de compromettre notre crédit à Rome. Mais tout est invoqué ici ; n'allègue-t-on pas les transactions auxquelles Rome s'apprête fort dès qu'il ne faut pas être plus rigide qu'elle ? Comme s'il ne fallait pas garder la dignité d'une cause même quand ceux qui la représentent tendent à l'oublier! Je sors au corps législatif où j’ai entendu Monsieur Waleski11 débiter sa hargne d’un ton épais et monotone : on le dit très coton et je le devinerai à certaines notes de la voix. Monsieur Berryer avec qui j'y suis allé est d'un entrain admirable. Il me parlait du discours comme quelqu'un qui s'apprête à intervenir sur tous les sujets ! Puisse-t-il conserver cette bonne santé et cette vaillante ardeur ! Je ne parle pas du discours impérial. Ce qu'il y a de plus clair c'est l'équivoque mais vis-à-vis des États-Unis, l'attitude est-elle assez humiliante ? Il vient d'envoyer M Laillard au Mexique avec mission de faire comprendre à Maximilien12 qu'il était désormais en état de se gérer tout seul. Mais il n'a pas voulu donner un mot d'écrit "J'ai trop écrit déjà, lui a-t-il dit ?" Mille respects affectueux au Bourg d'Iré et pour vous, cher Monsieur, l'assurance de mon tendre attachement.

Ch. Lacombe

Ne m'oubliez pas auprès de M. de Bertou

1Jules Janin (1804-1874), écrivain et critique dramatique. Auteur prolifique, il collabora à de nombreux périodiques. Il sera élu le 7 avril 1870 à l’académie française.

2Mgr Darboy, Joseph (1813-1871), archevêque de Paris depuis 1863 et sénateur. De tradition gallicane, Mgr Darboy faisait partie, aux côtés de Mgr Dupanloup, de la minorité des prélats qui souhaitaient le rejet de la définition de l’infaillibilité. Pris comme otage par la Commune, il sera fusillé le 24 mai à la prison de la Roquette.

3Rouland, Gustave (1806-1878), magistrat et homme politique. Député et avocat général à la Cour de Cassation en 1846, il s'était rallié à l'Empire. Nommé procureur général près la cour de Paris, il sera ministre de l'Instruction publique et des cultes de 1856 à 1863. Remplacé à ce poste par V. Duruy, il sera alors nommé vice-président du Sénat, puis président du Conseil d'Etat. En 1864, il deviendra gouverneur de la Banque de France, attribution qu'il conservera jusqu'aux premières années de la Troisième République.

4Troplong, Raymond-Théodore (1795-1869), juriste. Membre de la Cour de Cassation (1835) et pair de France en 1846. Il fut promu premier président de la cour d’appel de Paris par le prince président en décembre 1848 et se rallia au coup d’État. Entré au sénat, il fut le rédacteur du rapport sur la restauration de l’Empire.

5Sans doute L. de Carné. Carné, Louis Joseph Marcein comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il avait été élu à l’Académie le 23 avril 1863 contre Émile Littré.

6Legouvé, Ernest Gabriel Jean-Baptiste (1807-1903), auteur dramatique et essayiste. Fils de l'académicien Jean-Baptiste Legouvé (1764-1812), il avait obtenu, en 1827, le prix de l'Académie pour son poème, Découverte de l'Imprimerie. Il était membre de l'Académie française depuis le Ier mars 1855.

7Champagny, François-Joseph-Marie-Thérèse Nompère, dit Franz, comte de (1804-1882), écrivain ultra-catholique. Il fut le collaborateur de l’ancien comme du nouveau Correspondant, de L’Ami de la Religion et de la Revue contemporaine.

8Domaine, proche de Lisieux (Calvados), appartenant à François Guizot.

11Waleski, Alexandre Joseph Colonna (1810-1868), homme politique. Fils naturel de Napoléon Ier, il fut nommé ambassadeur de France en Toscane, à Madrid et à Londres puis ministre des Affaire étrangères de 1855 à 1858.

12Ferdinand-Maximilien-Joseph, archiduc d’Autriche (1832-1867). Il était devenu, à l’invitation de Napoléon III, empereur du Mexique le 10 octobre 1864, sous le noms de Maximilien Ier.Soutenu par les États-Unis, les républicains mexicains, mettant à profit le retrait des troupes françaises, s’emparent du pouvoir et capturent Maximilien qu’ils exécutent le 19 juin 1867.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «23 janvier 1866», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1866,mis à jour le : 23/08/2022