CECI n'est pas EXECUTE 14 août 1868

Année 1868 |

14 août 1868

Yvan Gagarin à Alfred de Falloux

Versailles, rue Saint-Honoré, 14 août 1868

Mon cher comte,

Vous trouverez sous ce pli les huit lettres ou billets de Madame Swetchine. Je n’en ai pas trouvé d’autres. Quant aux lettres de Madame Rosalie Rzewska1 et à celles de Mme Edeling2, je ne les ai pas prises. Elles sont restées chez le comte Charles de Maistre3, au château de Beaumesnil4, par Bernay, Eure, dans le voisinage du prince Albert de Broglie dans un département qu’on ne peut pas traverser en chemin de fer sans constater l’imminence popularité de M. Janvier de la Motte5. C’est renversant, mais il paraît positif que si ce présentait dans ce département il serait sûr d’être élu. Il a adopté un genre moitié bon enfant, moitié canaille qui a eu le plus grand succès auprès des masses, tout en éloignant de lui des gens comme il faut. Mais j’en reviens aux lettres de Roxandre6. Il y a là une antérieure à son mariage, datée d’Ortza, en Russie blanche et une autre écrite peu de temps après son mariage.

Quant au détenteur des papiers de la princesse Lamquiska, ils sont parfaitement connus ; je n’ai par leur nom présent en ce moment, mais sont écrits en toutes lettres sur le titre de l’histoire de l’abbé Verarin. L’un est curé de Ferney, l’autre est aumônier du pensionnat de Carouge : l’un s’appelle Martin, l’autre Fleury, je ne sais plus. Je crois bien cependant qu’il faut chercher Martin à Ferney et Fleury à Carouge, à moins que ce ne soit le contraire.

Léon Gagarin qui vient de trouver une mort si tragique avec son fils, n’est pas le neveu de Madame Swetchine et mon cousin germain. C’est un cousin issu de germain à moi, le fils de ce Nicolas Gagarine, marié à une Bobinsky, qui a été assassiné à Pétersbourg il y a quelque 30 ans. C’est par conséquent un frère de la princesse Menchikof. Il avait fait un singulier mariage qui ne l’avait pas empêché d’être très bien vu à Moscou, il était maréchal de la noblesse de l’ancienne capitale depuis assez longtemps et on était fort content de lui.

Je m’aperçois que je ne vous ai rien dit des lettres de la princesse Alexis. Augustin7 va les avoir incessamment et je lui laisse le plaisir de vous les communiquer.

J’ai en ce moment un accès de goutte à l’orteil du pied droit, ce qui me cloue à peu près dans mon fauteuil. Le comte de Maistre8 et ses correspondants me tiennent compagnie. J’ai des lettres du P. Rozaven9 qui sont d’un grand intérêt, je me dispose à les publier, aussi quelques inédites du comte de Maistre entre autres une collection d’anecdotes recueillies dans les salons de Pétersbourg de 1803 à 1811. C’est fort curieux et fort intéressant.

Portez-vous bien ou au moins tâchez d’alléger la somme de vos souffrances.

Tout à vous de cœur.

Y. Gagarin

1Aleksandra Franciszka Lubomirska (surnommée Rosalie son père) (1788 – 1865) aristocrate polonaise, artiste et écrivaine fille du Prince Alexander Lubomirski et de Rosalie Lubomirska.

2Roxandre Stourdza, comtesse Edeling (1786-1844).

3Charles de Maistre (1832-1897), petit-fils de Joseph de Maistre. Personnalité de l'Eure, il se consacra à diverses œuvres charitables et fonda un périodique La Croix de l'Eure destiné aux ouvriers. Royaliste et ultramontain, il contribua au développement du catholicisme social.

4Château de Beaumesnil, demeure de Charles de Maistre dans l’Eure.

5Bonapartiste, Eugène Janvier de la Motte (1823-1884) fut nommé préfet de l’Eure le 16 février 1856, poste qu’il conservera jusqu’au 28 avril 1868.

6Roxandre Stourdza, comtesse Edeling (1786-1844).

8Joseph de Maistre (1753-1821), philosophe. Savoyard, il était sujet du roi de Piémont-Sardaigne. Magistrat au Sénat de Savoie comme son père, il quitta la Savoie à l'arrivée des troupes françaises en septembre 1792 et se réfugia en Piémont puis en Suisse. Il publia, en 1797, son premier ouvrage Les considérations sur la France. Rentré en Italie en 1799, il fut chargé par le roi de Sardaigne de le représenter auprès du tsar. Il resta en poste à Saint-Pétersbourg jusqu'en 1817. Revenu en Italie, il mourut à Turin. Auteur de plusieurs ouvrages, Essai sur le principe générateur des constitutions politiques (1814), Du Pape (1819) et Les Soirées de Saint-Pétersbourg (ouvrage publié en 1821 peu après sa mort), De Maistre, comme De Bonald refusa tout compromis avec les principes nouveaux issus de la révolution. Joseph de Maistre et Mme Swetchine, sur laquelle Falloux écrivit une biographie, avaient lié connaissance en Russie.

9Le Père Jean-Louis de Lésseigues de Rozaven (1772-851), de l'ordre des jésuites, fut à l'origine de plusieurs conversions dans l'aristocratie russe, en particulier de celle de Mme Swetchine.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 août 1868», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, CORRESPONDANCES, Second Empire, Année 1868,mis à jour le : 28/08/2022