CECI n'est pas EXECUTE 10 décembre 1871

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10 décembre 1871

François Lagrange à Alfred de Falloux

Orléans 10 décembre 1871

Bien cher ami,

La plupart des lecteurs (de mon article du Correspondant) ont vu dans mon texte une leçon (à M. Thiers) et non un encouragement. Mais enfin cela est de peu de conséquences et j’ai pas besoin de vous dire que je suis tout à fait d’accord avec vous pour désirer et réclamer que la volonté de la France soit faite et non celle d’un homme. Mgr [Dupanloup] vient de partir pour Paris. Il descendra provisoirement à Versailles, chez Monsieur Cochin…. Il sera utile à l’assemblée où les volontés et les intentions manquent moins que la clairvoyance du devoir à suivre.

Nous sommes dans une des situations les plus douloureuses où puisse se débattre l’âme d’un honnête homme et le sort d’un grand pays. La république nous perd et la monarchie qui serait notre meilleure chance de salut, est rendue presque impossible. Vous savez que j’étais tout à fait d’avis d’une détermination énergique par laquelle l’assemblée faisant une constitution saturée sur les institutions et le drapeau et dirait, par ordre de primogéniture au représentant de la royauté, c’est à prendre ou à laisser. Il paraît évident que cette ligne ne sera pas adoptée. La Gazette de France dont le langage suppose une entente préalable entre parlementaires demande à grands cris que les questions de constitution soient absolument écartées. Cela étant, que peut-on faire ? Je persiste dans mon ancien sentiment il faut, à tout prix, s’arranger avec Monsieur Thiers, ne pas le chicaner hors de propos, lui parler et parler de lui sur un ton qui ne convertisse pas la dissidence en rupture et les fossés en abîme, faire une part à ce qu’on voudra appeler son égoïsme, sa vanité, puis, au nom même de tout ses travers et de tous ses défauts, l’engager dans une voie où ils seront satisfaits eux-mêmes par la satisfaction des plus grands intérêts nationaux. Ce n’est pas l’affection qui me fait parler ainsi, c’est la nécessité la plus froidement envisagée et acceptée. Je ne verrai pour mon compte, aucun inconvénient à ce que le duc d’Aumale fut investi d’une lieutenance générale décennale ou à vie. Mais j’aurais peur que le pouvoir qui use tout en France n’usât la France au détriment de sa famille et au profit des Bonaparte. Il ne pourrait gouverner, comme le fait Monsieur Thiers, qu’en donnant une part de gages à tous les partis, et qui les mécontente tous, quoique cela soit indispensable. Avec Monsieur Thiers, nous gardons intactes nos perspectives de monarchie, de cette monarchie vers laquelle on peut le décider à nous conduire. Je pense donc qu’il faut épuiser le possible pour l’engager dans une cause où son intérêt se trouve comme le nôtre.

F. Lagrange


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «10 décembre 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1871,mis à jour le : 08/10/2022