CECI n'est pas EXECUTE Eté 1872

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Eté 1872

A. Jardry à Alfred de Falloux

[été 1872]

Monsieur le comte,

Vous avez du recevoir les remerciements de M. l'abbé Bernard1 et de M. Saint René Taillandier. A chacun d'eux j'ai remis dès samedi dernier les trois volumes2 que vous aviez bien voulu me charger de leur porter. Votre attention a paru les toucher beaucoup. Ils m'ont promis de répondre de leur mieux à votre désir dans la mesure et avec l'étendue que leurs relations et leur crédit pouvaient leur permettre.

J'ai eu l'honneur de causer quelques instants avec Madame Saint René Taillandier qui m'a parlé, entre autres choses, du Bourg d'Iré dans les meilleurs termes et de votre discours au comice de Segré3 avec des éloges que j'épargne naturellement à votre modestie mais tout à fait pompeux et à n'en pas douter absolument sincères.

J'ai signalé à l'abbé Bernard la lettre de Victor Cousin au pape qu'il n'a voulu lire qu'après mon départ, ce qui a rendu ma visite forcément très courte par suite de l'apparent dérangement qu'elle semblait lui occasionner. Quant à M. Saint René Taillandier, En lui remettant ma carte je l'ai averti que j'étais dépositaire d'exemplaires Swetchine et que je tenais à sa disposition le nombre qu'il jugerait utile à donner aux journaux prés desquels il aurait accès. Enfin, j'ai vu ce soir seulement Monsieur Weiss4 qui a reçu avec une grande satisfaction ses deux volumes. À l'expression de vos remerciements dont je me suis de mon mieux fait l'interprète, il a répondu en présence de deux Messieurs avec lesquels il travaillait : « mais je n'ai pas de remerciements à recevoir, j'ai une grande admiration pour Monsieur de Falloux et je vais lui écrire à Segré puisqu'il n'est pas à Paris tout ce que je puisse faire relativement à cette nouvelle édition et suivant sa réponse, j'aurai peut-être recours à votre dépôt n'étant pas moi même chargé de l'analyse des livres remis à la direction du journal ».

Je suis bien affligé de l'État de votre pauvre santé ; je vous plains de tout mon cœur et suis bien malheureux de ne pouvoir trouver de quoi vous soulager un peu puisque Dieu s'obstine à ne pas vouloir vous guérir. Ses desseins, il est vrai sont impénétrables mais ils le sont plus que jamais dans les grandes circonstances que nous traversons au milieu desquelles il vous donne si peu les moyens, les forces nécessaires pour y apporter votre part de lumières et d'expérience. Je courbe la tête mais à contrecœur en m’ associant à toutes vos pensées que je voudrais plus confiantes dans le présent et plus rassurées pour l'avenir.

Je viens de rencontrer Monsieur Clément5, avocat des conseillers d'État, un des bons députés de l'assemblée, ma bonne fortune et mon inséparable camarade des remparts. Il est bien indiqué et croit que tout le jeu des honnêtes gens de l'assemblée va être d'enrayer le débordement des radicaux, de les brouiller à mort avec les Thieristes auxquels on s'efforcera d'assurer une suffisante vitalité pour donner à l'enfantement si laborieux des monarchistes le temps de s'accomplir. Voilà la panacée du moment ! Suffira-t-elle à calmer nos inquiétudes, à donner du repos au pays, de l'essor à l'industrie, au commerce, à régénérer la classe ouvrière dévoyée, celles plus éclairées mais égoïstes, énervées du côté du caractère, hébétées du côté des intérêts sacrés de la nation. J'en doute malheureusement. Que la providence, en dépit de tout et de tous, nous prenne en pitié et nous épargne le triste spectacle de la France aux abois, en délire, aux prises avec la révolution ou sous la main de fer de l'étranger pour consommer sa ruine !

Je vous demande pardon d’ajouter peut-être à votre tristesse, mais est-il possible d'être à cette heure sous une autre impression. Quand la mère souffre, l'enfant pleure et il pleure d'autant plus que la guérison est incertaine. C'est un peu ma situation et si elle était davantage partagée, bientôt nous verrions des jours meilleurs. Je les espère néanmoins et c'est dans cette attente que je vous offre , Monsieur le comte, et que je vous prie d'offrir à ces dames, l'assurance de notre attachement le plus inaltérablement et le plus respectueusement dévoué.

E. Jardry

P.S. Dois-je définitivement prier M. Fontaine6 de vous abonner pour six mois aux Paris-Journal. Permettez-moi d'envoyer ici toutes mes amitiés à M. Riobé7 que j'attends avec plaisir le 11 ou le 12 courant.

1Bernard Eugène (1833-1893), prêtre du diocèse de Quimper (ordonné en 1858), professeur à la Sorbonne, successeur du Père Gratry à l’École normale supérieure.

2Falloux venait de publier Lettres de Madame Swetchine, Paris, Didier, 3 vols.

3Dans ce discours politique prononcé au comice agricole de Segré, Falloux avait vivement critiqué les prise de position de Thiers en faveur d'une « république conservatrice » jugée totalement illusoire à ses yeux.

4Weiss, Jean-Jacques (1827-1891), professeur, journaliste politique et littéraire, fondateur du Journal de Paris, conseiller d’état de 1871 à 1879.

5Clément, Léon Pierre (1829-1894), avocat et homme politique. Élu par l’Indre à l’Assemblée nationale en 1871, il s’inscrivit à la réunion Feray avant de rejoindre le centre droit. Candidat conservateur constitutionnel, il se fit élire au sénat en 1876, où il siégea avec le centre droit et vota avec les monarchistes.

6Un des nombreux secrétaires de Falloux.

7Secrétaire de Falloux.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Eté 1872», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1872,mis à jour le : 04/01/2023