CECI n'est pas EXECUTE 13 septembre 1873

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13 septembre 1873

Franz de Champagny à Alfred de Falloux

Trois moulins, par Melun (Seine et Marne), 13 septembre 1873

Cher confrère,

Permettez-vous que je vous parle un peu des affaires de l’académie ? Quoique plus éloignée, vous êtes peut-être plus au courant que moi ; je n’y vais parfois exactement [sic] et quand j’y vais, on est si peu nombreux qu’on y apprend pas toujours grand-chose. Ce que je sais seulement, c’est qu’on médite dans l’élection qui doit avoir lieu en novembre plus tard de nous imposer triomphalement M. Taine1. On se dédommagerait ainsi du 24 mai2 ; mais ce que je ne veux pas croire, quoique on me l’ait affirmé, c’est que M. Guizot lui-même est favorable à cette intrigue dont le succès serait une honte pour l’académie.

Il me semble qu’au vu de ce péril, il serait urgent de s’entreprendre sur le candidat ou plutôt les trois candidats que l’on veut porter à l’encontre de ce triste choix. J’avais proposé Anatole de Ségur que j’aime littéralement et personnellement. Mais avant tout, il faut s’entendre et pour ma part j’accepterai tout ce qui sera convenu. M. de Pontmartin au sujet duquel vous m’avez généreusement écrit, MM. Boissier3 et Mézières4, deux universitaires dont je connais peu les œuvres et dont le second a pour <nom illisible> un enthousiasme bien <mot illisible>. Mais on m’a parlé de M. Dumas5 de l’Académie des sciences ; s’il se présentait étant comme il est, de savoir et de talent, secrétaire perpétuel de l’académie sa nomination serait je crois inévitable ; mais voudra-t-il se présenter et qui pourrait l’y décider ? Ce serait une recrue honorable pour notre académie et une chance de moins pour M. Taine.

Il faut bien nous concerter de loin puisque tout le monde est absent. À la séance de jeudi, nous étions sept. Il serait bien important que le duc de Broglie vint à notre aide. Dernièrement par sa seule présence à la séance sans qu’il eut besoin de dire un mot, il nous a donné une petite manœuvre qui tendait à provoquer pour la séance une sorte d’ovation thieriste.

J’ai écrit de tout cela à Carné6 il y a six semaines. Mais il ne m’a pas répondu.

Je ne vous parle pas d’autres choses. L’homme qu’on nous propose a quelque chose de si odieusement cynique que je trouve que nous devons tout faire pour le repousser. Mais vous, je vous prie, parlez-moi de votre santé, de celle des dames auxquelles je vous prie de présenter mon respect.

Voilà bien longtemps que je n’ai de nouvelles de l’évêque d’Orléans. Albert du Boys7 l’attendait mais il ne m’a pas écrit depuis.

Adieu vous savez tous mes sentiments d’attachement dévoués.

Champagny

 

1Taine Hyppolite Adolphe (1828-1893), essayiste et historien. Auteur d'un Essai sur Tite-Live couronné par l'Académie française en 1854, il avait publié deux ans plus tard Les Philosophes français du XIXe siècle, ouvrage dans lequel il critiquait la philosophie spiritualiste enseignée par l'Université. Son œuvre la plus importante demeure ses Origines de la France contemporaine qu'il commença à publier en 1876. Il collabora à plusieurs périodiques dont la Revue des deux Mondes et le Journal des Débats. Candidat à l'Académie française en 1874, il avait été battu par Elme Caro, ses idées philosophiques déplaisant à Mgr Dupanloup et à certains de ses proches. Considéré peu à peu par ceux-ci comme étant « anti-révolutionnaire », Taine sera élu le 14 novembre 1878 en remplacement de Louis de Loménie. Mort peu avant son élection, Mgr Dupanloup aurait même songé à lui apporter sa voix.

2Le 24 mai 1873, l’Assemblée désigna le Maréchal Mac Mahon pour succéder à Thiers à la présidence de la République.

3Professeur au Collège de France, Gaston Boissier est alors candidat à l'Académie française. Boissier Gaston (1823-1908), historien et philologue français. Normalien, il est alors professeur au Collège de France où il est titulaire de la chaire de poésie latine depuis 1869 et dont il deviendra administrateur de 1892 à 1894. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, il entrera en 1876 à l'Académie française dont il deviendra, en 1895, le secrétaire perpétuel.

4Mézières Alfred Jean François (1826-1915), essayiste et homme politique. Normalien, professeur de littérature étrangère à la Sorbonne, il fut l'auteur de plusieurs études sur Shakespeare, Dante et Goethe. Journaliste, il participa à la fondation du temps en 1864. Élu en 1881, député de Meurthe-et-Moselle, il siégea avec les républicains opportunistes et fut constamment réélu jusqu'en 1898. Devenu sénateur de ce même département en 1900, il continua de siéger avec le centre gauche. Élu à l'Académie le 29 janvier 1874 en remplacement de Saint-Marc Girardin, il fut reçu le 17 décembre 1874 par Camille Rousset.

5Dumas Jean-Baptiste (1801-1884), chimiste et homme politique. Membre de la Législative en 1849, ministre de l'Agriculture et du commerce en 1851, il deviendra sénateur en 1852. Candidat à l'Académie française, il ne sera élu qu'en 1875, au siège de François Guizot.

6Carné, Louis Joseph Marcein comte de (1804-1876), historien et journaliste légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Il avait été élu à l’Académie le 23 avril 1863 contre Émile Littré.

7Boÿs Albert du (1804-1889), magistrat et historien. Nommé conseiller auditeur à la Cour en juin 1825, il avait démissionné au lendemain de la révolution de Juillet après avoir refusé de prêter serment à Louis-Philippe. Collaborateur du Correspondant, il se consacra dés lors à d'importants travaux historiques, à des études de législation criminelle et de philosophie du droit. Il s'était retiré dans son château de La Combe de Lancey, en Isère où son ami Mgr Dupanloup venait régulièrement lui rendre visite.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 septembre 1873», correspondance-falloux [En ligne], 1873, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 03/11/2022