1874 |
17 mars 1874
Léopold de Gaillard à Alfred de Falloux
Paris, 17 mars 1874
Cher Monsieur de Falloux,
Je vous demande pardon de n’avoir pas répondu plus tôt à votre bonne dernière lettre. Je ne suffis pas ou je suffis mal aux nombreuses occupations et obligations qui se disputent mais journée. Quand j’ai fait la part léonine du conseil d’État1, la part diminuée sans doute mais absorbante du Correspondant, ce qu’il me reste d’hommes pour mes affaires et les relations personnelles, est hélas ! bien peu de choses. L’art de distribuer son temps est un grand art. Je n’ai malheureusement jamais pu l’acquérir. Je m’en suis souvent confié à M. de Montalembert qui, lui savait suffire à tout, et à Cochin qui se plaignait si souvent de ne pouvoir rester maître de sa vie.
Je commence par vous dire, cher Monsieur, que votre travail sur notre ami est lu de toutes parts avec la plus reconnaissante sympathie. Ce que vous me faites savoir de la longueur de cette publication n’est pas fait pour m’effrayer. Le seul conseil purement pratique que je me permets de vous transmettre c’est de vous donner chaque fois deux ou trois chapitres au lieu d’un seul. Nous pouvons disposer pour vous de 30 à 40 pages, et vous n’en prenez jusqu’ici une vingtaine. La difficulté majeure de cette utile et pieuse entreprise, c’est d’intéresser constamment le public au récit d’une existence à peu près vide d’événements. Je l’avais ressenti moi-même pour les quelques pages absolument improvisées que je dus écrire sur la demande et d’après les communications de la famille, dans le numéro du Correspondant qui suivit la mort de Cochin2. Sous votre plume la vie d’Augustin Cochin3 se présente avec deux aspects bien dignes l’un et l’autre de nous édifier et de nous éclairer ; l’hommage généreux à une chère et pure mémoire ; le jugement de l’homme d’État sur les actes, les amis et les hommes auxquels Cochin a été mêlé. D’après quelques mots que vous avez bien voulu me dire à votre dernier passage à Paris, j’ai cru comprendre que tel est en effet votre dessin, et je m’en applaudis vivement. Hier matin à la messe commémorative de l’hôpital Cochin, les amis étaient nombreux, tous vos amis aussi et vos lecteurs attendris et charmés.
Avez-vous su, cher Monsieur, que Mgr de Moulins4 nous a remis, il y a un mois, un curieux et orageux travail sur les prophéties présentes ? Son habitude de refaire sa rédaction sur épreuve l’a empêché d’être prêt pour le numéro du 10 mars. Je l’ai fort regretté, car aujourd’hui il compte sans aucun retard sur le 25, et nous ne pouvons évidemment publier dans la même livraison le nom de l’évêque et celui du grand vicaire. Monsieur l’abbé Lagrange que j’ai vu à ce sujet tremble à la seule idée de passer, comme plus pressé, avant son évêque et n’osera pas lui en souffler mot. Mgr part, dit-on, pour un grand voyage et veut lancer avant, son article en brochure. Je ne vois pas moyen de nous tirer de là qu’en renvoyant au 10 avril la rectification des faits de la Roche-en Brenil5. Dans le cas très supposable encore où Mgr ne serait pas prêt au dernier moment, j’ai donné ordre de le remplacer aussitôt par l’abbé Lagrange. C’est comme vous le devinez, mon vif désir. Adieu, cher Monsieur de Falloux, j’ai besoin de compter sur les yeux de votre jeune secrétaire pour me déchiffrer et je vous prie d’agréer l’assurance de mon affectueux et respectueux dévouement.
Léopold de Gaillard
1Secrétaire de rédaction de la revue, Léopold de Gaillard est par ailleurs conseiller d’état.
2Augustin Cochin était mort le 15 mars 1872. Léopold publiera une notice nécrologique dans le Correspondant du 25 avril.
3Falloux publiera une biographie de son ami, Augustin Cochin, Paris, Didier et Cie, 1875.
4Mgr de Dreux-Brézé, Pierre-Simon (1811-1893), évêque de Moulins depuis 1849, il était un proche de Dom Guéranger. Il avait établi le rite romain en 1853 dans son diocèse.
5Domaine de Charles de Montalember dans le Doubs.
