CECI n'est pas EXECUTE Ier décembre 1874

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Ier décembre 1874

François Lagrange à Alfred de Falloux

1er décembre 1874

Monsieur le comte,

Il faut bien avoir un peu compassion de moi. Vous ne savez pas à quel degré, dans l’état actuel de ma santé, ce voyage de Rome, dans les conditions où je l’ai fait, m’a fatigué et vous ne savez pas non plus combien, depuis mon retour, Mgr1 m’a occupé à un travail assez inopportun, selon moi, qu’il voulait publier avant la rentrée de la chambre, que j’ai pu tout de même, tant bien que mal, et en me conformant à son plan, qui n’était pas tout à fait le mien mener à fin, et qu’heureusement il a consenti à ajourner.

Dès le jour même où j’ai reçu votre lettre relative à l’abbé Bourquard2, je suis allé trouver Mgr l’évêque d’Angers3, car Mgr n’était pas d’humeur à s’aboucher pour le sujet avec son collègue ; et tout en laissant ignorer à Mgr Freppel que j’avais mis l’évêque d’Orléans au courant de cette affaire je lui en ai dit longuement et énergiquement la pensée : la conversation a duré près de deux heures. Je lui ai dit, avec la plus entière franchise, et sans lui dissimuler de quelle source je tenais ces renseignements, vous consentiez à être nommé, je lui ai dit combien je trouvais cette polémique, à tous les points de vue, regrettable : en elle-même d’abord, au moment où nous avions tous besoin d’union ; et dans sa forme ; et alors je lui ai donné connaissance de la phrase imputée par l’abbé Bourquard à l’évêque d’Orléans.

L’évêque d’Angers, m’a répondu qu’il jugeait comme moi, impossible, que Monseigneur l’évêque d’Orléans eut jamais écrit ou dit de telles paroles ; mais qu’il était impossible aussi que l’abbé Bourquard les lui eut attribuées ; que vous deviez calomnier ici l’abbé Bourquard, qu’il lui en parlerait (à l’abbé Bourquard) et qu’il me donnerait sur ce point satisfaction. Qu’assurément les divisions étaient choses fort tristes, mais qu’elles étaient inévitables quand elles portaient sur la doctrine ; qu’au surplus il n’était lui, là dedans, pour rien ; que l’abbé Bourquard agit en son nom et pour son compte et que lui évêque, n’a en cela aucune responsabilité; qu’en définitive il faisait une exposition doctrinale et non pas à proprement parler une polémique personnelle ; et qu’un évêque ne pouvait pas interdire à un prêtre de traiter des questions et de signaler des erreurs dont le souverain pontife signale en toute occasion le danger.

J’ai répondu à tout cela qu’il n’y avait aucune nécessité ni utilité à ce que l’abbé Bourquart intervint dans ces questions ; que Mgr d’Angers se faisait illusion s’il pensait n’encourir aucune responsabilité dans les polémiques d’un homme qui habite sous son toit ; que l’opinion publique ne s’y tromperait pas, et l’en rendrait infailliblement responsable ; que je regrettais ces attaques contre des hommes tels que vous et l’évêque d’Orléans, catholique, éminent grand évêque, et cela après tant de services rendus, et au moment même où l’évêque d’Orléans venait de défendre encore une fois avec tant d’éclat la cause pontificale, que je les regrettais non pour vous, mais pour l’évêque d’Angers ; qu’on ne manquerait pas de répéter, ce que déjà j’avais eu le regret d’entendre dire qu’une fois que l’évêque d’Angers, lui aussi est passionné, et met ses passions avant les causes ; que cette attaque contre l’évêque d’Orléans en particulier serait sévèrement jugée et attribuée, à tort sans aucun doute, mais certainement attribuée à des intentions peu épiscopales. Et ici, sentant que je faisais impression, j’insistai fortement.

Il reprit qu’il était au-dessus de l’opinion ; que quand il veut attaquer un homme, il ne se met pas derrière un autre ; qu’il s’opposerait volontiers d’ailleurs à ce que l’abbé Bourquard attaquât l’évêque d’Orléans, mais que celui-ci n’y songeait pas ; que quant à Monsieur de Falloux, c’est autre chose ; lui c’est un homme de guerre ; il attaque, on lui riposte, il donne des coups et en reçoit : l’évêque d’Angers ne se mêlera pas de ses affaires à moins que Monsieur de Falloux ne l’y force ce qui pourrait bien arriver. Que déjà Monsieur de Falloux a combattu une de ses candidatures ; qu’il est en guerre perpétuelle avec l’Étoile de l’Ouest d’Angers. Que ce sont là des représailles ; que l’évêque ici laissera faire.

Si ce sont des représailles, ai-je répliqué, où est donc ce beau zèle pour la pure doctrine ? Et si l’abbé Bourquard est si zélé pour la pure doctrine, pourquoi signale-t-il des excès seulement chez les catholiques libéraux et pas chez les catholiques illibéraux ? Quand ceux-ci écrivent des énormités telles que celles-ci : « Il faut qu’aujourd’hui, la <mot illisible> soit remise partout à sa place, c’est-à-dire à la disposition de l’Église » (Illusion libérale), pourquoi ces sévères docteurs n’ont-ils rien ici à condamner ou à expliquer ?

Non, ce sont bien des polémiques personnelles ; et d’autant plus odieuses qu’elles ne sont pas seulement d’une partialité mais encore d’une injustice révoltante. Pourquoi appliquer le même mot, la même étiquette à des hommes que des abîmes séparent, aux plus grands ennemis de l’Église, et à ses plus constants et dévoués défenseurs ! Quoi ! Nous ne devons aucune reconnaissance à cet homme de guerre, comme vous dites, qui, plus que personne a fait l’expédition romaine et cette loi d’enseignement sans laquelle vous ne pourriez rien dans votre diocèse ; et qui, le premier à proposé celle sur qui vous comptez tant ! Et qui enfin a dissous, en amassant contre lui des haines qui le poursuivent depuis les ateliers nationaux, et sauvé la société !

Il vous combat maintenant Mgr me dites-vous : mais il ne vous a pas toujours combattu ; il vous a accueilli à votre arrivée dans votre diocèse, plus même peut-être qu’il n’y était obligé et je l’ai entendu faire votre éloge pour votre conduite pendant la guerre. À cette hostilité, si elle est réelle, il y a des causes. Quoiqu’il en soit le faire attaquer ou le laisser attaquer par un prêtre, chapelain tant que vous voudrez de je ne sais quelle chapelle suisse, mais qui habite près de vous, l’englober dans une école où vous le mettez pêle-mêle avec des apostats et les pétroleurs; et dans cette école englober aussi l’évêque cité à tort ou à raison dans ces articles : dire en un mot il y a une école infiniment dangereuse ; et ceux que l’Univers donne pour chef à cette école, oui, ce sont bien ces catholiques-là et cet évêque-là, Mgr, il y a là quelque chose qui révolte et qui indigne. Et qu’on puisse dire que vous faites ou laissez faire ces attaques là, je le répète cela vous fait, à votre personne, à votre caractère, à votre considération le plus grand tort.

Tel a été mon langage : bref, dans cette première conversation, il a nié l’exactitude de votre citation ; il a promis que l’évêque d’Orléans ne serait pas attaqué ; il a maintenu que quant à vous il laisserait faire.

Mais je l’ai revu depuis à Saint-Sulpice, et avec l’abbé Bourquard. Celui-là je l’ai encore moins ménagé. Son langage était presque confus et embarrassé. Lui aussi a nié la citation et n’a guère fait que balbutier en ma présence. J’ai en somme grand lieu de croire que mon langage a fait quelque impression, et que cette polémique ne continuera plus.

Quant à Mgr Fèvre4, j’en ai parlé à deux vicaires généraux de Paris, l’abbé Jourdan5, et l’abbé Lagarde. tous deux sont indignés. Mais ils ne voient pas ce que l’archevêque de Paris6 peut faire. Il pense qu’il y aurait une démarche à faire auprès de l’évêque de Langres7 (décidément le personnage est du diocèse de Langres) un blâme à lui demander ; il pense aussi qu’il y aurait peut-être lieu pour vous à vous adresser aux tribunaux. Mgr l’évêque d’Orléans ne paraît pas trop vouloir se mêler de cette affaire ; il me semble pourtant que de sa part une lettre à l’évêque de Langres serait tout à fait justifié, et peut-être obtiendrait un résultat ; ne fût-ce qu’une réponse de cet évêque désapprouvant et blâmant Mgr Fèvre. Mais je ne connais pas assez ce vieil évêque de Langres pour savoir s’il y a quelque chose à en attendre ou non. On m’a du reste promis des documents curieux sur ce Mgr Fèvre : je m’empresserai, dès que je les aurais, de vous les communiquer. Je viens de remettre à Mgr la réponse de Monsieur Albin.

Mon cher Monsieur le comte de tout ce griffonnage et veuillez agréer mes plus dévoués respects.

F. Lagrange

 

 

2Laurent Casimir Bourquard ( 1820- 1900). ordonné prêtre en 1843, il devint professeur de philosophie à Besançon avant d'obtenir la chaire de philosophie à l'Université catholique d'Angers, dés son ouverture, en 1879. C'était u proche de Mgr Freppel qui le nomma chanoine d'Angers.

4Mgr Fèvre, Justin (1829-1907) curé, prélat de la Maison du pape en 1863, vicaire général de l'évêque d'Amiens, Mgr Jacquenet, de 1881 à 1884, publiciste, protonotaire apostolique, il se distingua par ses attaques contre les catholiques libéraux.

5Jourdan, César-Victor (1813-1882), il sera peu après, le 21 décembre 1874, nommé évêque de Tarbes.

6Mgr Guibert Joseph-Hyppolyte (1802-1886), archevêque de Paris depuis 1871, il avait été nommé cardinal par Pie IX en 1873. Il donnera sa bénédiction au mariage d'Anne de Mackau et du comte Humbert de Quinsonas célébré le 2 mai 1882 à l'église Saint-Philippe du Roule, à Paris.

7Mgr Mathieu, Césaire Jacques Marie Adrien (1796-1875), reçu avocat en 1817, il avait choisi d'entrer au séminaire. Ordonné prètre en 1822, il fut nommé curé de la Madeleine en 1831. Nommé évêque de Langres l'année suivante, il sera promu archevêque de Besançon en 1834. Gallican, proche de Mgr Dupanloup, il refusa d'adopter la liturgie romaine dans son diocèse et appartint à la minorité au Concile de 1870.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Ier décembre 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 10/11/2022