CECI n'est pas EXECUTE 9 décembre 1874

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9 décembre 1874

François Lagrange à Alfred de Falloux

Viroflay1, 9 décembre 1874

Monsieur le comte,

Je viens de recevoir vos trois Étoiles2 (l’une d’elles, un peu avariée), et je me suis hâté d’en prendre connaissance. Quelles perpétuelles occasions d’idée ! Quelle perfidie et malhonnêteté de citations !

Quelle ignominieuse polémique !

Je regrette bien que vous soyez à ce point trompé, dans la citation que comprenait votre première lettre. La phrase que vous me citiez comme imputée par M. Bourquard3 à l’évêque d’Orléans, était de l’abbé Bourquard lui-même, et leur a donné, à l’un et à l’autre, à l’évêque et à l’abbé, l’occasion d’un facile, mais déloyal démenti. Car cette phrase amenait la citation, si imprudemment tronquée, d’un passage de la lettre de Minghetti4. Ce Bourquard n’est plus pour moi un honnête homme. Prétendre qu’en tirant de cette citation la conséquence qu’il en a créée à la charge de l’évêque d’Orléans, il n’a <mot illisible> ni son droit de polémiste ni son droit de logicien, c’est le comble de l’impudence et de la malhonnêteté. Mais que direz-vous de cet évêque, avec qui je cause de la lettre à Minghetti, sans savoir quel était le blâme des attaques de son commensale, qui me le laisse ignorer, qui va même jusqu’à me dire qu’après surtout la Lettre à la France la pensée de l’évêque d’Orléans ne peut pas être l’objet d’un doute : et cependant les attaques de son commensale sont postérieures à cette Lettre à la France ; et dans la réponse qu’il vous adresse, il ose encore les maintenir ! Cela dépasse la mesure commune de l’impudence et de la mauvaise foi.

Évidemment, il est on ne peut plus désagréable à l’évêque d’Orléans d’entendre parler de cette affaire. Cependant, il faut absolument qu’il y regarde. Il tient là, une seconde fois, ses adversaires la main dans le sac ; il ne faut pas qu’il laisse échapper cette occasion. Ma pensée et qu’il faut qu’il adresse une lettre à l’abbé Bourquard ; et si l’abbé Bourquard ne se rétracte pas, je n’hésiterai pas à conseiller à Mgr de le déférer aux tribunaux. La diffamation me paraît flagrante ; et la condamnation inévitable. Et cela leur serait une leçon qu’on entendrait peut-être à Rome.

Toutefois j’ai essayé hier, à mes risques et périls, et sans y être guère encouragé par Mgr, une démarche qui, si elle avait le résultat que je désire plus que je ne l’espère, dispenserait Mgr d’écrire, et serait, un immense succès pour nous. Je vous raconterai cela.

Je me hâte de vous dire, quant à l’ensemble de ces articles, signé Bouquard, que je doute fort qu’ils soient du personnage ; je les croirais plutôt de l’évêque d’Angers5, qui en est au moins l’aspirateur, s’il n’en est pas le rédacteur.

Ma pensée est qu’il brûle d’entrer lui-même en lice ; et c’est pourquoi il faut autant que possible ne le pas provoquer. Il n’a pas encore répondu à la lettre par laquelle je lui ai communiqué vos explications et où je me suis exprimé, sur votre correspondance avec M. Bourquard, avec une franchise sévère. S’il tarde trop à me répondre, je compléterai par une honorable lettre ma pensée ; car je ne lui ai pas tout dit, je n’ai pas pu tout leur dire, ne connaissant pas alors les trois Étoiles.

J’avoue que je sens bien un peu la plume me brûler les doigts ; mais je ne suis pas bête et je n’ai pas d’organe. Toutefois, la tentative est bien forte de m’expliquer par une lettre à l’Univers, au moins sur la lettre de Nocella6 dont ils abusent odieusement. Mais auparavant, si la démarre dont je vous ai parlé plus haut n’aboutit pas, il faudrait que Mgr se décidât à intervenir. J’espère toujours qu’il le fera.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, tout mes profonds et dévoués respects.

F. Lagrange

1Commune des Yvelines.

2L’Etoile, périodique légitimiste ardent.

3Laurent Casimir Bourquard (1820-1900), ordonné prêtre en 1843, il devint professeur de philosophie à Besançon avant d'obtenir la chaire de philosophie à l'Université catholique d'Angers, dés son ouverture, en 1879. C'était un proche de Mgr Freppel qui le nomma chanoine d'Angers.

4Allusion à la Lettre de 91 pages que Mgr Dupanloup avait écrit à Minghetti alors ministre des Finances de Victor-Emmanuel II dans laquelle l’évêque protestait contre la spoliation de l’Église à Rome et en Italie, Sur la Spoliation de l’Église à Rome et en Italie.

Marco Minghetti (1818-1886), homme d’état italien. L'un des artisans majeurs du Risorgimento aux côtés de Cavour, dont il fut le collaborateur et l'ami. Patriote italien, à l'avènement de Pie IX (1846), qui ne manque pas de susciter des l'espoir de voir le « pape libéral » prendre la tête de la croisade nationale et libérale, Minghetti devient ministre des Travaux publics dans le premier gouvernement laïc des États de l'Église. Les hésitations du souverain pontife à soutenir la révolution italienne, puis son désaveu, l’amène à se tourner vers le Piémont. Il correspond avec Cavour, devenu Premier ministre de Victor-Emmanuel II, en 1852, pour l'informer de la situation politique en Italie centrale et il coopère à la Société nationale italienne, fondée par La Farina en 1856 pour rallier les modérés à la solution piémontaise. En 1859, lors de la guerre contre l'Autriche, il se fait naturaliser sarde et devient secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Directeur des Affaires italiennes, il seconde Cavour dans l'action qui aboutit à l'acquisition de la Lombardie, puis, en 1860, des Romagnes, des duchés de l'Italie centrale et du royaume de Naples. Élu député de Bologne au Parlement de Turin, ministre de l'Intérieur du nouveau royaume d'Italie, il est associé aux tractations avec le Saint-Siège. Après la mort de Cavour, il continue à siéger dans les cabinets Ricasoli (1861-1862), puis Farini (1862-1863), auquel il succède comme Premier ministre. Il démissionne en 1864. Revenu aux affaires (1867-1869), Minghetti fut envoyé comme ministre à Vienne en 1870. En 1873, Minghetti redevint président du Conseil au milieu de graves difficultés économiques. Mais, le 18 mars 1876 , il sera renversé par une « révolte parlementaire ». Minghetti demeura jusqu'à sa mort, à Rome, le porte-parole d'une droite qui, expression de la bourgeoisie modérée, avait fait l'unité politique du pays.

5Mgr Freppel.

6Carlo Nocella (1826-1908), prélat italien. Ordonné prêtre en 1849, il exerça diverses fonctions dont le professorat à Rome avant d'être nommé secrétaire de la S. Congrégation Consistoriale (1892-1899), puis patriarche titulaire d'Antioche en (1899-1901) et Patriarche de Constantinople de 1901 à sa mort. Il fut créé cardinal lors du consistoire du 22 juin 1903.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 décembre 1874», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1874,mis à jour le : 10/11/2022