CECI n'est pas EXECUTE 30 octobre 1878

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30 octobre 1878

Augustin Georget La Chesnais à Alfred de Falloux

La Flèche1, 30 octobre 1878

Monsieur le comte,

C’est un vieillard de 92 ans qui vous écrit et cet avis va pour être Vous portez au-dessus au panier cet infolio. Qu’attendre d'une si vieille tête ? Cependant ce vieillard a beaucoup vu et connu tant de choses ! Enfant élevé à la fin du dernier siècle dans les écoles centrales nées de la révolution de 89, officier et fonctionnaire administrateur à 22 ans sous le premier empire, pour continuation sous la restauration est beaucoup plus loin, il a vu les agissements des imprudences de celle-ci, pour 1830, pour 1848 le deuxième empire, 1870 et nos désastres de la Commune et son horrible plan et attentat : il a vieilli enfin trop plein de jour, de réflexion et de travail, au centre d'une grande administration, au milieu d'un mouvement social imprégné de dissolvant de tous mœurs, religion, principes,que vous appréciez mieux que personne, et il lui est resté à ce vieillard assez de tête et de cœur pour admirer vos vertus, votre jugement et votre esprit. Il ne veut pas mourir sans vous complimenter.

Ho ! Que vous avez vu juste et bien, Monsieur, en stigmatisant les imprudents, les exagérations de l’Église et le dirais-je ? De la monarchie, les déplorables agissements de celle-ci (qui a pu un instant, avoir amener à elle), ces déplorables errements qui ont encouragé les violences du sacerdoce, lequel à son tour encourageait les palpables erreurs politiques et autres de la monarchie. Combien le prudent Henri IV a dû en gémir là-haut. C'est hélas ! Ils sont tous, à un petit nombre près, ce que je les ai vus en 1816 tous ces fauteurs de troubles et d'émotion populaire, ceux-ci ardents détracteurs démolisseurs de 89; ceux-la ardents sectaires religieux du Moyen Âge que j'ai vu distribuer de saintes images aux femmes aux enfants jusque dans les charrettes et diligences, gourmander qui ne s'agenouillait pas à l'appel de l'Angélus, abattre avec colère le chapeau qu'il ne se détachait pas vivement de la tête devant une procession, chanter des cantiques sur les airs révolutionnaires de 93, réclamer des bûchers pour les œuvres de Voltaire ; et tout cela au sein d'une nation modifiée dans ses idéaux, ses croyances par dix révolutions successives disposée à l'adoption des principes philosophiques, encore éprise du 18eme siècle et de Voltaire qu'on réimprimait avec fureur pour répondre à ses détracteurs. Un malheureux Voltaire dit Touquet vendu à prix vil inonda la France2. Ce genre de guerre s'est allumé tout récemment, un prélat fameux qui a justement flétri le grand philosophe, il faut le dire, a éclairé davantage la France sur ce hideux écrivain dont l’école, au surplus et depuis longtemps a perdu son crédit: mais le fougueux prélat n'a-t-il pas en cela manqué de sagesse et de prudence ? N'a-t-il point compromis l’Église fourni de terribles armes contre l'épiscopat, et méconnu cette voix du sage : « imprudent " par la colère et la vengeance qui n'a pas vu que la colère et l'esprit de vengeance, la vraie la véridique histoire pouvait porter jusqu'au hameau jusqu'au foyer du pauvre artisan, l'épreuve que nombre de prélats, des plus élevés à côté des grands services rendus par l’Église, à l’humanité à la civilisation, sont comme Voltaire épouvantés par d’affreux scandales de mœurs, de vices honteux, de dépravation et de turpitudes de toute genre.

Et quel enseignement donné au peuple qui ignore encore ! L’enseignement attisé par un génie infâme et la rage de farouches scélérats, ambitieux gredins qui veulent faire revivre la Commune et à qui Victor Hugo3 prêtera sa voix.

Monsieur le comte, j'ai vu frapper et mourir l'archevêque de Paris4 et son palais en cendres : en pensant au courage imprudent de Mgr Dupanloup je me suis dit : ma longévité va-t-elle donc me laisser la douleur de voir les flammes dévorer le palais épiscopal d'Orléans ? Vous avez dit Monsieur le comte « l’Église ne saurait périr »

La religion ? oui : elle a son siège au cœur de l'humanité, dans la conscience de chacun. Mais l’Église ?Craignons l'indifférence. Le décri, le mépris même à la suite de luttes sanglantes, de la <mot illisible>. Vous l'avez dit. Je n'ose achever

Pardonnez, Monsieur le comte, ces tristes pronostics du vieillard qui ose vous contredire en vous offrant ses hommages de haute considération et d'affection en Dieu.

La Chesnais

Georget5

1Ville du département de la Sarthe.

2Allusion à une publication des œuvres de Voltaire en 3 volumes en 1823 par Jean-Baptiste Pietrre Louis Touquet.

3Le célèbre poète fut alors un des rares écrivains à ne pas condamner les Communards.

4Mgr Sibour, assassiné le 3 janvier 1857.

5Augustin Louis Charles Georget de la Chesnais (1787-1880).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «30 octobre 1878», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1878,mis à jour le : 23/11/2022