CECI n'est pas EXECUTE 2 février 1879

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2 février 1879

Charles de Lacombe à Alfred de Falloux

Clermont1, 4 février 1879

Cher ami,

J’ai bien à vous remercier en même temps qu’à vous féliciter. Nous avons tous été fort touchés de rencontrer le nom de M. Mandacour2. Vous passez dans ce beau récit, c’est un honneur pour tous les siens, et sa veuve qui l’a bien senti vous en est profondément reconnaissante. Elle se rappelait, elle aussi, ce que son mari lui avait raconté des extraits de M. de Polignac3 ; ses souvenirs confirment les vôtres, et j’ai moi même transcrit dans mes notes une conversation à M. Berryer analogue à celle que vous avez entendu et rapporté. Tout est vivant d’ailleurs dans votre récit. On reconnaît M. Thiers, et sans avoir assisté à l’entretien on serait tenté de dire « j’y étais » en retrouvant ses manières et ses expressions. Peut-être quelques traits irriteront-ils à Frohsdorf ; je le regretterais ; car je voudrais surtout qu’ils éclairassent et qu’un changement dans l’esprit du Prince permit de ramener l’attention sur ce principe, dont les événements démontrent chaque fois de plus en plus la nécessité pour notre malheureux pays. L’élection de Pontivy4 pourrait aussi être un avertissement. Les manœuvres républicaines y ont eu sans doute leur grande part mais je crois bien que l’une d’elles a consisté à exploiter la lettre au Cte de Mun, et que celui-ci, au point de vue électoral n’aura pas eu à se féliciter du royal hommage rendu à son programme. Il me semble que dans la division croissante des partis vainqueurs dans les difficultés qui les attendent avec les violences qui se préparent, les conflits qui sont dans l’air et les périls qui peuvent entraîner les défiances de l’Europe, un avenir serait possible aux conservateurs, avenir de salut pour la France si on pouvait lui présenter en un langage qu’elle comprit des garanties qui la rassurent et que la monarchie seule peut lui fournir. Je m’explique le choix de Waddington5 par la crainte de l’étranger ; mais à moins qu’il ne masque précisément au programme dans son nom doit être l’avance devant l’Europe je me demande comment il formera un ministère conforme à l’esprit de la Chambre des députés. C’est M. Grévy qui me disait un jour ce mot que j’ai cité dans la nouvelle préface de mon Henri IV « Il nous faudrait un Henri IV; son esprit conviendrait dans des temps de divisions, à une république comme à une monarchie » C’était une bonne parole ; républicain incontesté comme il l’est, il lui appartiendrait de l’appliquer. En aura-t-il les moyens ? En aura-t-il la résolution ? En tant qu’acteur politique l’homme est une énigme que je ne me charge pas de déchiffrer. Quoiqu’il arrive je ne vois que des chances de conflits et je demande à Dieu de ménager à la France une paix qui ne soit pas la mort je veux dire la conquête ou le despotisme.

Tout à vous de cœur bien cher ami.

Ch Lacombe

1Clermont-Ferrand, chef-lieu du Puy de Dôme.

2Nom peu lisible.

3Jules de Polignac (1780-1847) principal responsable aux yeux de Falloux de la chute du régime de Charles X, il présida le Conseil des ministres du 8 août 1829 au 29 juillet 1830.

4Le 2 février 1879, A. de Mun, candidat conservateur sortant de la circonscription de Pontivy échoua face au républicain L. le Maguet, l’appui du comte de Chambord contribua à son échec, la monarchie était devenue de plus en plus impopulaire à Pontivy comme dans le reste de la France.

5Waddington William Henry (1826-1894), homme politique et archéologue français. Issu d'une famille ministre de l'instruction publique (9 mars 1876-16 mai 1877), puis ministre des Affaires étrangères du 13 décembre 1877 au 28 décembre 18, devenu entre temps président du conseil, du 4 février au 28 décembre 1879.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «2 février 1879», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1879,mis à jour le : 20/04/2023