CECI n'est pas EXECUTE 18 juillet 1880

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18 juillet 1880

Hilaire de Lacombre à Alfred de Falloux

Montmarin1, 18 juillet 1880

Bien cher ami,

Connaissez-vous l’abbé Baunard2 ? Vous faites en trois épithètes un autographe si ressemblant du modèle qu’un prêtre orléanais qui est ici et à qui je lisais votre lettre me disait : « Évidemment Monsieur de Falloux doit connaître le personnage » J’avoue que je suis étonné de la conduite du frère3 de Monsieur de Melun dans toute cette affaire. Il avait annoncé la prochaine publication de l’ouvrage4, m’avait même demandé d’en parler dans le Correspondant et puis, depuis la publication, il ne m’a pas donné signe de vie. Je le dis avec un vrai chagrin, c’est pour lui que je serai encore le plus sévère, et je m’étonne qu’un pieux, honnête et galant homme autorise une falsification pareille. Défigurer M. Armand de Melun, c’était déjà grave, mais s’armer de sa mémoire pour attaquer ceux que de son vivant il honorait comme des frères et des amis, cela n’a pas de nom. Il y a, à la table des matières un chapitre ainsi intitulé : les dissidents du concile : le P . Gratry et le P. Loyson5, c’est une profanation ! Je serrais d’avis que dans le Correspondant on ne soufflât mot de l’ouvrage ; rien ne dépiterait plus l’auteur.

Quant à faire, comme vous m’y couviez une réfutation ou exécution, je ne puis vraiment pas. J’ai été dans les dix dernière années de la vie de Monsieur de Melun un de ses plus intimes amis, j’ai des lettres de lui où il va, après le concile, jusqu’à désirer la séparation de l’Église et de l’État, et où il me parle avec la confiance la plus hardie. Je ne puis directement ouvrir une querelle sur son tombeau. Ma situation d’orléanais me crée de plus vis-à-vis de l’abbé Baunard des délicatesses particulières. À propos des souvenirs que je réalise sur l’évêque d’Orléans, je trouverai une occasion de dire mon sentiment, sans me donner l’air de disputer un mort. Mais comme cela est triste ! Et comme on a besoin de se rappeler certain mots de Madame Swetchine sur les qualités préliminaires de la sainteté !

Hil. de Lacombe

1Montmarin, propriété de la famille Marin de Montmarin, située sur la commune de Sargé-sur-Braye dans le Vendomois (Loir-et-Cher).

Hilaire Mercier de Lacombe avait épousé en 1863, Noémie de Marin de Montmarin (1831 - 1908), comte de Lacombe.

2Baunard, Louis (1828-1919), vicaire, puis chanoine de la cathédrale d’Orléans. Docteur en théologie, essayiste, il collaborait au Correspondant.

3Anatole de Melun (1807-1888), frère jumeau d’Armand de Melun. Polytechnicien et homme politique. Propriétaire dans le Nord, il sera élu député conservateur de ce département de 1849 à 1851 ? Il sera réélu à l’Assemblée nationale de 1871 à 1876 siégeant à droite.

4Abbé Louis Baunard, Le vicomte Armand de Melun. D’après ses mémoires et sa correspondance, Paris, Poussièlgue Frères, 1880, 613 p. Voir ce qu’en dit Falloux dans une lettre du 29 juin 1880 à son ami Jules de Bertou.

5Loyson, Charles (1827-1912) en religion le  P. Hyacinthe. Après un passage chez les Dominicains, il était entré en 1862 chez les Carmes. Prédicateur de Notre-Dame de Paris de 1864 à 1869, il était admiré pour son éloquence et sa générosité. Lié aux catholiques libéraux, ses éloges de 1789 lui attirèrent bientôt de vives attaques de la part des intransigeants. Favorable aux idées modernes, partisan d’un rapprochement entre catholicisme, protestantisme et judaïsme, sa foi sembla quelque peu ébranlée à partir de 1868, année au cours de laquelle il fit par ailleurs connaissance d’une jeune veuve américaine récemment convertie, Mme Émilie Meriman dont il s’éprit et qu’il épousera en 1872. Ses rapports avec plusieurs athées notoires et ses hardiesses de langage le rendirent rapidement suspect à Rome où il dut aller s’expliquer. De retour à Paris il se compromit définitivement par un discours prononcé le 24 juin 1869 au Congrès de la Paix, congrès interconfessionnel. Le général des Carmes lui ayant ordonné de cesser le ministère de ses prédications, le P. Hyacinthe lui adressa, le 20 septembre, sa décision de quitter le Carmel. Excommunié, le P. Hyacinthe n’entendait pas cependant s’éloigner définitivement de l’Église. Il en fut néanmoins rejeté par la proclamation de l’infaillibilité pontificale contre laquelle il publia le 30 juillet 1870 une vive protestation. Il rentra par la suite en relation avec Döllinger. Curé de la paroisse catholique de Genève pendant quelque temps, il fonda à Paris une « Église gallicane » et prêcha partout la réconciliation entre catholicisme et protestantisme. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Liturgie de l’Église catholique gallicane (1883) et Les Principes de la réforme catholique (1878). De plus en plus attaqué pour ses prises de position libérales et déçu par les progrès de l'ultramontanisme, il rompit publiquement avec l’Église en septembre 1869 continuant cependant à se dire « prêtre catholique » puis « prêtre du vrai Dieu ».


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 juillet 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 04/12/2022