CECI n'est pas EXECUTE Novembre 1867

Année 1867 |

Novembre 1867

Adolphe Thiers à Alfred de Falloux

Château de Franconville par Luzarches (Seine-et-Oise), [novembre 1867]1

 

Mon cher confrère et ami,

Je suis empêché pour vous répondre par la difficulté vulgaire de ne pas bien savoir les indications qui doivent être ajoutées à l’adresse de Rochecotte pour que ma lettre vous parvienne. Mais mon ami St Hilaire2 qui part aujourd’hui pour Paris se chargera de compléter cette adresse et de vous faire parvenir ma lettre.

Je suis bien sensible si votre bon souvenir, et je vous remercie d’avant de faire ce que vous aurez dit dans le Correspondant, qui n’a pu m’arriver à la campagne mais que je vais faire prendre chez moi à Paris. Aucun suffrage ne peut être plus précieux que le vôtre, et j’en toujours l’expression avec grande joie et grande gratitude.

Ici au fond de forêts qui ne sont pas à moi, mais à un ami et proche parent de ma belle-mère, je continue entre Galilée, Descartes, Pascal et (en bonne compagnie comme vous voyez) je continue à regarder le drame shakespearien de notre temps Que de gravité à la fois et de grotesque. J’en suis confondu et j’en serais si je n’en étais terrifié pour notre pauvre pays, sans s’en apercevoir du premier rang au troisième, c’est à dire au dernier ! ou on serait à mourir avec l’Europe ou la résignation d’un homme épuisé renonçant au monde pour le Christ (ce qui est noble pour l’individu mais pas pour les nations) on ne serait à nous ou le Christ, telle est l’alternative qu’on a préparé à la France et j’avoue que je crains autant l’une que l’autre de ces alternatives. Je suis actuellement pour la paix, mais que de douleurs patriotiques, pour les gens qui comme vous et moi aiment au même degré la France, la liberté la grandeur, toutes ces nobles études qui composent les affections des honnêtes gens !

Et les intérêts moraux que deviennent-ils au milieu de ce chaos ?

Voilà ce sot et vieil enfant de Garibaldi arrêté ! Mais que fait il au fond de la  ? Rien ou presque rien. Que de difficultés presque insurmontables sur ce terrain chargé de décombre ! Entre nous, bien entre nous, je crains fort que notre excellent et éloquent ami l'évêque d'Orléans3 ne s'engage témérairement dans le procès à Voltaire. Le gratifier comme il l'a fait blesse un certain instinct français, instinct tt national qui s'attache à Voltaire comme à l'un des génies les plus nationaux le plus caractéristiques de la France. Il faut prendre garde à son instinct et il faut songer aussi que Voltaire si on savait s'en servir, est le plus puissant des auxiliaires contre le véritable ennemi du jour, le matérialisme grossier du congrès de Liège et de l’époque. C’est là l’ennemi le plus redoutable. Et il y a dans le Dictionnaire philosophique4 des pages admirables de bons sens de philosophie véritable qui citent à propos lisible> bien nos stratégies panthéistes. Si à mon âge je suis plongé dans le grimoire algébrique, si je passe des journées et des nuits dans le laboratoire de chimie ou de physique, c’est avec la conviction que le matérialisme est le vrai ennemi des temps, et qu’il faut combatte avec ses propres armes. Je crois qu‘il serait bon de les combattre avec les armes des génies qu’il aime à invoquer lorsque ce sont des génies nationaux.

Dans chaque homme il faut prendre le bon et toute bonne cause a le droit de dire je prends mon bien où je le trouve or il y a dans Voltaire du parfait.

Si je viens faire ces remarque bien entre nous je le répète (et je vous supplie qu’il en soit ainsi) c’est que j’aperçois chez des gens excellent dont le concours est indispensable à la cause individuelle de la liberté et de l’ordre et qui répondent à la de tous les temps de tous les cultes j’aperçois certains froissements qu’une certaine mesure est massée et soyez sûr que dans la conduite des choses humaines c’est un homme qu’il faut toujours avoir sous les yeux. Vous qui joignez à la fermeté des sentiments l’esprit politique,réunies des qualités , si rares vous apprécierez cet avis en m’en gardant le secret.

Trois grandes causes nous sont à cœur : la liberté le rang de la France dans le monde, les vraies croyances morales sans lesquelles l’homme <mot ill> vers la bonté ; je m’y consacre et je suis d’avis qu’il faut augmenter le nombre de ses adeptes. Voilà mon petit et modeste prône digne de gros-jean, mais gros-jean sur est un brave homme qui a du bon sens je vous assure et qui est bon à entendre Adieu mon très cher mille amitiés vives sincères et constantes.

A. Thiers.

 

1Garibaldi et ses chemises rouges sont défaites à Mentana le 3 novembre 1867 et ne parviendront pas à s’emparer de Rome protégé par les armées françaises.

2Barthélemy Saint-Hilaire, Jules (1805-1895), philosophe, historien et journaliste. Collaborateur du Globe à la fin de la Restauration, il était très proche de Thiers.

3Mgr Dupanloup, très hostile à l’esprit voltairien de certains de ses contemporains.

4Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1764.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Novembre 1867», correspondance-falloux [En ligne], Année 1867, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Année 1852-1870, Second Empire,mis à jour le : 06/04/2023