CECI n'est pas EXECUTE 1875

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Julie de Chevreuse à Alfred de Falloux

Je suis confuse, Monsieur, d'avoir tant tardé à répondre à votre lettre mais au moment où je croyais avoir plus de liberté mes occupations sont au contraire devenu plus nombreuses. Puis, je vous l'avoue franchement, je crois que j'ai eu tort d'accepter une discussion pour laquelle je me sens aussi incapable. Je ne puis compter que sur un miracle de la grâce et ce miracle serait alors le plus grand de tous les arguments contre le catholicisme libéral puisque la science se trouverait vaincue par la faiblesse s'humiliant et priant. Avant de vous écrire, Monsieur, j'avais eu la pensée de lire et d'étudier votre livre1 sur Monsieur Cochin mais j'ai eu la crainte d'en arriver ainsi à des personnalités que je veux éviter avant tout.

Pour moi les catholiques libéraux presque tous remarquables par leur intelligence et par leur science croient peut-être un peu trop que c'est l'intelligence et la science qui doivent gouverner le monde et l’Église. Je leur reproche, permettez-moi de vous le dire, d’oublier que c’est seulement à ses apôtres et à leur successeur que Notre Seigneur a dit: enseignez toutes les nations voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles.

Admettant tous les grands principes de la foi il ne nient pas la grâce habituelle mais ne tiennent pas assez compte de la grâce actuelle que Dieu donne à qui Il le veut et quand Il le veut. Souvent ce sont les instruments les plus infimes dont il se sert pour manifester sa puissance et nous sommes obligés de reconnaître que le Curé d'Ars2 qui a été sur le point de ne pas pouvoir être ordonné prêtre à cause de son peu de science a fait plus de conversion que le père Lacordaire avec tout son talent.

Quelquefois les catholiques libéraux ont accusé le souverain poncif de ne pas connaître son siècle, de faire des choses inopportunes comme si le Saint-Esprit qui le dirige toutes les fois qu'il parle comme chef de l'Église ne savait pas mieux que les gens les plus instruits ce qu'il convient de faire dans telle ou telle circonstance. Souvent j'ai pensé, Monsieur, que Jeanne d'Arc que j'admire tant n'aurait pas trouvé grâce devant vos amis. Elle n'avait ni esprit ni science mais elle avait reçu d'en haut une mission à laquelle je crois. Oui, Monsieur, je vous l'ai dit je crois aux vocations que Dieu donne je crois à la grâce d'en haut lorsqu'on la demande et qu'avec des intentions pures et droites on a qu'un désir celui de bien remplir son devoir. Je crois que dans ces conditions un chef de famille peut faire plus de bien autour de lui même sans talent sans qu'une autre personne beaucoup plus habile et qu'il en est de même du chef de l'État vis-à-vis du chef de l'Église. C'est encore bien autre chose en tout ce qui touche à la fois il représente notre Seigneur et nous ne avoir pour lui que respect soumission et obéissance. Vous me demandez ma définition, Monsieur, la voici j'espère qu'elle est conforme aux instructions de l’Église et si elle ne l'était pas je serai prise à me rétracter étant avant tout catholique comme le pape. Permettez-moi aussi d'ajouter que je suis royaliste comme le roi.

Après vous avoir écrit, Monsieur, je me demande si le silence n'aurait pas mieux valu et je me rappelle un fait que je me permets de vous raconter. Autrefois j'avais renoncé à parler religion à mon beau-père. Me sentant trop ignorante pour bien plaider la cause que je voulais défendre je me contentais pendant les longues promenades que nous faisions ensemble de répéter cette prière : Mon Dieu je ne puis parler de vous à mon beau-père mais je vous ai parlé de lui. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque ma mère me raconta un jour cette conversation : « je ne puis reprocher à Valentine lui disait-il de me parler religion, elle ne m'en parle jamais mais je ne puis la voir sans y penser ». N’était-ce pas l'effet de la grâce, Monsieur. J'ai plus de confiance dans la prière que dans mes faibles paroles et je vous quitte, Monsieur, pour demander à N.S. dans la Chapelle de Madame Swetchine de vous envoyer sa lumière et ses aspirations. Agréez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments les plus distingués

Duchesse de Chevreuse

 

1Alfred de Falloux, Augustin Cochin, Paris, Didier, 1875, 402 p.

2Vianney, Jean-Marie, dit le Curé d'Ars ou le saint Curé d'Ars, né le 8 mai 1786 à Dardilly, et mort le 4 août 1859 à Ars-sur-Formans, est un prêtre catholique français vénéré par l'Église


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «1875», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1875,mis à jour le : 21/10/2023