CECI n'est pas EXECUTE 24 septembre 1857

Année 1857 |

24 septembre 1857

Alexis de Tocqueville à Alfred de Falloux

Tocqueville, 24 septembre 1857

Je prends en me pressant quelques instants pour vous dire qu'hier à 4h madame de Swetchine a reçu l'extrême-onction, en croyant le dernier moment arrivé elle était sur un fauteuil on lui soutenait la tête elle ne faisait entendre que des sons presque incompréhensibles mais conservait toutes ses connaissances. Elle a suivi toutes les prières auxquelles nous répondions et après cette belle invitation: « partir de ce monde âme chrétienne que votre demeure soit aujourd'hui dans la paix... » Elle a fait un effort et a dit à haute voix : « dans tous les siècles des siècles oui a dit l'abbé Serre dans tous les siècles des siècles ».

L'abbé Serre lui a dit ensuite " les personnes ici présentes désirent être bénies par vous" nous nous sommes tous inclinés puis chacun de nous s’est approché, agenouillé et lui a baisé la main..L'abbé Serre nous a nommé successivement et elle faisait à chacun un petit signe de reconnaissance. Il y avait présents : sa nièce, madame Craven, Lillers1, de Meyendorff, MM. de Falloux, de Melun, Albert de Broglie, le prince2 et la princesse Gagarin, des gens de la maison et moi. Le soir on lui a fait le <mot illisible> elle en a été très soulagée et à recouvré un peu la parole. Ce matin elle est calme. André avait annoncé cet effet mais si on espère rien qu'une mort plus douce.
 

5 septembre Paris Cte de Boislecomte.

 

Le monde oublie vite mais ceux qui ont connu madame de Swetchine ne l'oublieront pas. Son cher et vieux souvenir restera longtemps dans leur cœur et sa belle âme devant Dieu prêtera même aux sentiments terrestre qu'elle a laissé une durée immatérielle. Comme vous l'avez prévu la mort de Madame de Swetchine m’a causé une bien vive douleur. J'étais loin de m'attendre à ce qu'elle eut bien si soudainement. D’'espérance à vrai dire je n'en avais plus depuis plusieurs conversations que j'avais eu avec M. Rayer3 mais sans croire à une guérison possible, je me flattais qu'il me serait encore permis de revoir une personne pour laquelle j'avais tout à la fois <mot illisible> plus rare qu'on ne pense l'affection la plus sérieuse et le plus profond respect. Je ne sais si j'ai jamais rencontré dans ma vie de personne plus vraie et par conséquent plus grande mais assurément je n'en ai jamais rencontré de plus aimable. Une heureuse réunion de qualités les plus hautes et les plus mêlées et confondues dans une harmonie si parfaite que l'admiration m'empêche jamais d'ici la liberté des rapports ni l'agrément de la société. Quand rencontrerai-je un intérêt si sérieux prêt aux autres une sensibilité si facile à émouvoir une bonté si efficace tant de vivacité dans la manière de comprendre et surtout de sentir jointe à ce que le saint passionné devrait en toute choses, qui est si impérieux encore à la simple véracité  hélas ? Il est un produit que bien rarement des œuvres si charmantes et il n'accorderait aux choses excellentes temps d'entrée.

A. de T.

1Victoire Pauline Antoinette de Lillers, née Collot (1814-1895).

2Gagarin, Jean-Xavier, prince (1814-1882), diplomate et écrivain d’origine russe. A 21 ans, il fut attaché d’ambassade à Munich puis à Paris. Converti au catholicisme en 1842 dans la chapelle de Mme Swetchine, sa tante par alliance, il entra, en 1843, dans la Compagnie de Jésus sur les conseils de son ami le P. de Ravignan. Il enseigna la philosophie et l’histoire religieuse en Belgique (1849-1851), puis à Laval (1853-1854). Il écrivit plusieurs ouvrages sur les rapports de la Russie et l’Église romaine dont La Russie sera-t-elle catholique?

3Docteur de Mme Swetchine.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «24 septembre 1857», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1857,mis à jour le : 22/10/2023