CECI n'est pas EXECUTE 21 janvier 1883

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21 janvier 1883

Julie de Chevreuse à Alfred de Falloux

Sablé1, 21 janvier [1883]

Monsieur le comte,

Il y a quelques années en priant dans la chapelle de Madame Swetchine j'ai été poursuivi par la pensée que je devais écrire à Monsieur de Montalembert et lui rappeler cette admirable lettre de votre sainte amie au moment où elle lui demandait de se séparer de l'abbé de Lamennais2.

J'ai résisté à cette inspiration trouvant qu'il y aurait peut-être de l'orgueil de ma part et je l'ai regretté.

Depuis quelque temps je ne sais pourquoi dans cette même chapelle votre souvenir me suit; il me semble que l'heure est venue pour vous de faire du bien à la cause dont vous parliez autrefois avec tant d'enthousiasme à ma mère et que le drapeau tricolore traîné dans la boue à la fête du 14 septembre vient d'être enfoui avec Gambetta. En revenant de Domrémy lorsque je fus il y a 3 ans porter des couronnes à Jeanne d'Arc, n'ayant jamais fait de vers, je me mis à composer sur l'air de minuit chrétien des couplets sur cette héroïne, ils se terminaient ainsi :

« Qu'il soit passé ce temps de défaillance de nos aïeux retrouvons la valeur sachons mourir pour le roi pour la France unissons-nous le droit sera vainqueur que ce drapeau qui fut pur et sans tache, soit désormais le drapeau du pays. Dans tous ses plis la victoire se cache, vive le roi, honneur aux fleurs de lys au moment où l'affolement général la France a besoin de toutes ses intelligences pour l'aider à se relever. »

Comme je bénirai Dieu au milieu de toutes mes nouvelles épreuves si avec ce cri Dieu et le roi vous ralliez tous ceux qui n'ont pas cru à la mission providentielle de Monseigneur le comte de Chambord. Votre parole éloquente peut faire tant de bien, et n'avons-nous pas dans la vie le devoir de faire à la gloire de Dieu tous les dons qu'il nous a donnés.

Mais je n'ai rien qui puisse vous entraîner et peut-être en venant passer quelques instants dans la petite chapelle de madame Swetchine, sentirez-vous mieux ce qu'elle vous demande pour la France qu'elle appelait sa seconde patrie.

Permettez-moi de vous demander une prière pour cette malheureuse S3 et que Dieu l'a convertisse et qu'il me donne la consolation de pouvoir s'assurer que je lui pardonne tout ce qu'elle m'a fait souffrir. Sa pauvre mère a aussi perdu la tête, elle me réclame une pension viagère de 100.000 francs. Marie-Thérèse4 et Emmanuel sont bien intelligents bien gentils, leur père veille sur eux du haut du ciel et je le retrouve dans son fils qui a son cœur,  son esprit et sa bonté. 

Pardonnez-moi cette longue lettre monsieur le comte, c'est Madame Swetchine qui en est cause et son souvenir nous est bien cher à tous les deux.

Duchesse de Chevreuse, 

 

 

1Commune de la Sarthe.

2Hugues-Félicité Robert de Lamennais, écrivain et philosophe chrétien français. Ordonné prêtre en 1819, il était opposé aux doctrines gallicanes et considérait préférable de se tourner vers Rome pour résister aux prétentions du pouvoir civil. Ses idées en faveur des libertés favorisèrent le développement du catholicisme libéral. Ses écrits et son journal L'Avenir furent néanmoins condamnées en 1832 par Grégoire XVI (encyclique Mirari Vos). Abandonné par ses plus fidèles partisans, notamment Lacordaire et Montalembert, refusant de se soumettre, il fut à nouveau condamné par Rome pour ses Paroles d'un croyant, en 1834 (encyclique Singularis nos).

3?

4Marie-Thérèse d’Albert de Luynes(1876-1941) et Emmanuel d’Albert de Luynes (1878-1908), duc de Chaulnes


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «21 janvier 1883», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1883,mis à jour le : 22/10/2023