CECI n'est pas EXECUTE 9 septembre 1854

Année 1854 |

9 septembre 1854

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

Essay Orne, 9 novembre 1854

Nous sommes bien infligés, mon cher ami, de ce dernier coup qui accable les malheureux Saint-Aulaire1. Nous sommes attachés à cette pauvre et charmante famille par une si aimable conformité de sentiments que nous ressentons ses souffrances comme une affliction personnelle. Ce que vous me mandez sur les derniers moments d'un si excellent homme me paraît bien consolant. Je vous félicite d'avoir pu vous unir aux prières de Madame de Saint-Aulaire, l'assister en de pareils moments et l'admirer dans sa pieuse fermeté. J'aime à penser que vous serez chargé d'un éloge qui vous conviendrait mieux qu'à tout autre. Laissons passer M. Ponsard2 quoi qu'il m'impatiente fort de retarder ce que je désire de tout mon cœur. Votre tour est maintenant indiqué. Monsieur de Saint-Aulaire s'est trouvé à Rome en 1831 dans des circonstances qui avaient beaucoup d'analogie avec celle où j'ai eu moi-même à soutenir de véritables combats. Il y apportait un excellent esprit. J'ai lu sa correspondance, ses mémoires. Je souhaite ardemment que cette partie de son héritage soit confiée à un successeur qui ait aussi payé sa dette au Saint-Siège et puisse comme vous louer dignement un passé qui vous rappellera le vôtre.

Quand nous en serons là vous me permettrez de vous signaler les analogies. Je serai à Paris dans les premiers jours de janvier. Ainsi, je n'arriverai pas trop tard pour me tenir au courant. Vous avez agi, je le crois, avec toute votre sagesse en restant vis-à-vis les divers personnages de l'Académie dans les termes d'un ajournement bienveillant, mais impliquant une promesse. Je ne me serais tant tourmenté de votre optimisme et je ne vous en ai fait un sujet de remontrance avec exagération, assurément, que parce que je redoutais que cela ne vous mit en dissidence fâcheuse avec une société dont vous ne devez pas vous séparer, non seulement en cette circonstance mais au point de vue de toutes les difficultés de tous les services de votre commune tâche. Utile de vous dire que mon impression était solitaire, que ma précaution n'a été connue que de vous deux. Je savais parfaitement qu'en examinant l'état des esprits dans la grande fournaise vous n'auriez besoin des conseils de qui que ce soit pour en juger sainement.

Par conséquent ne parlons plus de votre lettre ni des miennes. Il n'y a pas de procès ni de réquisitoire entre nous. Je vous donne raison sur tous les points en réservant simplement mes bons motifs et ma bien véritable amitié. Votre disposition à la pleine acceptation de tout ce qui doit nous venir de la Providence est le modèle que je veux me proposer. Elle n'exclut pas une tristesse chrétienne à la vue de nos périls.

J'oubliais de vous dire que Rémusat ne revient qu'à la fin de décembre. Alexis [de Tocqueville] me mande en une demi-page que l'effet du discours de notre vénérable prélat3 et ami, a été considérable et unanime. Ils sont réjouit pour la religion et les lettres. J'ai trouvé d'abord un peu d'exagération et d’impétuosité dans le jugement de Mgr4au sujet de l'autorité de l'académie en matière de langage; mais en y réfléchissant, c'était probablement une adroite manière d'engager l'Académie sous forme de compliment à n'enregistrer les mots qu'avec un redoublement de bienséance.

Les mots les plus importants de ce monde et de l'autre ne sont pas en effet définis ni enregistrés par l'Académie; pour les papes et les conciles. Mgr d'O. ne dit pas le contraire bien loin de là ; seulement il est habile académicien. La compagnie fait le dictionnaire, selon les usages. Elle y consigne, trop souvent les vis et grossièreté de son temps. La voilà avertie.
Ce sont les révolutions, les relâchements, les vis dont je parle qui font le mauvais langage et non celui-ci qui fait seul la révolution. Donc il ne serait pas très sage de croire qu'on pourra les réprimer à coup de dictionnaire.

M. De Sal[vandy] c'est surpassé dans la langue qui n'est pas française, ce qui ne l'empêche pas d'avoir de bonnes opinions et les meilleurs sentiments.

Vous m'avez laissé sur la bonne bouche en m'annonçant des détails sur la réception impériale et les oubliant dans votre lettre. Comment cela s'est-il passé ? Adieu, cher ami je vous barbouille mes petites pages avec la rapidité du vent et n'est que le temps de vous assurer de ma vive et fidèle amitié.
F. Corcelle

1Beaupoil, Louis Clair de, comte de Sainte-Aulaire (1778-1854), préfet sous l’Empire puis député libéral sous la Restauration. Rallié à la monarchie de Juillet, il fut ambassadeur de France en Italie (1831), en Autriche (1833) et en Angleterre (1841-1847). Il avait été élu à l’Académie française en 1841.

2Ponsard, François (1814-1867), auteur de pièces de théâtre, chef de file de la mouvance antiromantique. Proche du pouvoir, il sera élu à l’Académie française avant Falloux, le 23 mars 1855.

4Mgr Dupanloup.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «9 septembre 1854», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1854,mis à jour le : 15/02/2024