CECI n'est pas EXECUTE 26 novembre 1854

Année 1854 |

26 novembre 1854

Alfred de Falloux à Francisque de Corcelle

Bourg d’Iré, 26 novembre 1854

Cher ami,

J’ai été si troublé de la mort de Sainte-Aulaire1 et de la douleur de sa famille que je n’ai su vous parler d’autre chose.

Voici maintenant le P. S. qui vous est dû.

L’Empereur a reçu fort gracieusement les trois personnages académiques, et a promptement parlé de Rome à l’évêque2 en l’attirant un peu à l’écart. Villemain et Salvandy se retirant un peu aussi de leur côté, l’entrevue a tourné au tête à tête, à voix basse, durant quelques minutes. En terminant l’Empereur a dit tout haut : « Présentez bien tous mes respects au St Père». Il s’est ensuite rapproché des deux autres académiciens, il a parlé avec coquetterie à M. Villemain de leur ami commun, M. Vieillard3. Il a félicité Salvandy sur son discours et remercié des passages sur l’armée d’Orient, puis il a congédié le tout. Cela s’est donc suffisamment bien passé pour détruire le thème de Cousin qui a prétendu, pendant un certain temps, qu’on était fort monté en haut lieu contre l’académie ; qu’on ne songeait qu’à la dissoudre et qu’elle ne pouvait conjurer son deux décembre qu’on nommait exclusivement des Ponsard4 et des Augier5 et des Legouvé6.

La mort de M. Sainte-Aulaire me fait une place, héla trop naturelle, je lui ai fait annoncer par M. Jourdain que je me présenterai sans balancer dés que les convenances le permettraient. Il n’a plus rien objecté, en principe, mais il s’est encore rejeté sur le duc de Broglie. J’ai pris alors mon parti d’écrire à Albert de Broglie pour lui demander le oui ou le non de son père. J’en ai profité pour le mettre discrètement mais nettement au courant des arrière-pensées philosophiques. Dés que j’aurai sa réponse je vous la transmettrai et j’écrirai aussitôt à M. Guizot, à M. Pasquier, à M. Thiers, à Tocqueville etc. etc. etc. Une lettre de m. d’Harcourt7, vis à vis duquel je m’étais gardé de toucher ce sujet, l’aborde de lui-même en me donnant des nouvelles de Mme de Sainte Aulaire8 et m’autorise à penser qu’elle verra quelque consolation cette mémoire confie à mon sincère attachement. Jugez avec quel heureux empressement, cher ami, j’aurai recours à vous de cet éloge m’est effectivement dévolu.

Ce n’est pas pour établir un plaidoyer entre vous et moi que je vous redemandais ma lettre, mais pour la relire à mon profit avec une sérieuse étude sur ma plume. Apportez-la donc à Paris si elle n’est pas au feu. Ma candidature si elle parvient à ce jour officiellement, m’amène sans doute à Paris dans le mois de janvier ? Que dire de Sébastopol ou plutôt de la Crimée ? Avez-vous souvenir de quelque chose de plus honteux qu’un Prince général se retirant à Constantinople, en pleine ardeur d’une telle guerre !

Voilà du moins ce qui craignaient une trop abondante moisson de lauriers personnes, bien rassurés !

Au revoir, au revoir mon très bon, très aimable et très cher ami.

Alfred

P.S.

Nous avons retenu un logement pour le catéchisme de St Thomas d’Acquin ce printemps. J’ai de très bonnes nouvelles des Rességuier, elles sont de Paris.

1Sainte-Aulaire, Beaupoil, Louis Clair de, comte de (1778-1854), préfet sous l’Empire puis député libéral sous la Restauration. Rallié à la monarchie de Juillet, il fut ambassadeur de France en Italie (1831), en Autriche (1833) et en Angleterre (1841-1847). Il avait été élu à l’Académie française en 1841. Il venait de mourir le 13 novembre 1854.

2Mgr Dupanloup.

3Vieillard, Pierre-Ange de Boismartin (1778-1862), poète, dramaturge et critique littéraire.

4Ponsard, François (1814-1867), auteur de pièces de théâtre, chef de file de la mouvance antiromantique. Proche du pouvoir, il sera élu à l’Académie française avant Falloux, le 23 mars 1855.

5Augier, Émile Guillaume Victor (1820-1889), poète et auteur dramatique, il obtint un prix Montyon pour sa comédie Gabrielle. Disciple de François Ponsard il était partisan de « l’école du bon sens » en réaction contre le drame romantique.; ses principales œuvres qui illustrent pour la plupart la morale bourgeoise sont La Ciguë (1844), Philiberte (1853), Les Effrontés (1861), Le Fils de Giboyer (1862), Maître Guérin (1864), Paul Forestier (1868), Madame Caverlet (1876), et, en collaboration avec Jules Sandeau, Le Gendre de M. Poirier (1854) ; il collabora aussi avec Labiche. Plusieurs fois candidat à l'Académie, soutenu par le parti libéral, Thiers, Rémusat, Mérimée, Sainte-Beuve, il sera élu le 31 mars 1857, par 19 voix contre 18 à V. de Laprade, le candidat de V. Cousin, Montalembert, etc. C’est la voix de Musset qui assura l'élection d’Émile Augier. Il sera nommé sénateur à la fin de l'Empire.

6Legouvé, Ernest Gabriel Jean-Baptiste (1807-1903), auteur dramatique et essayiste. Fils de l'académicien Jean-Baptiste Legouvé (1764-1812), il avait obtenu, en 1827, le prix de l'Académie pour son poème, Découverte de l'Imprimerie. Il était membre de l'Académie française depuis le Ier mars 1855.

7Harcourt, François Eugène Gabriel, duc d' (1786-1865), militaire et homme politique. Député de Seine-et-Marne, il fut membre de l'opposition libérale de 1827 à 1830 avant de rejoindre la majorité gouvernementale de 1830 à 1837. Nommé pair de France en 1847, il était alors ambassadeur de France à Rome, poste dont il démissionna en septembre 1849.

8Sainte-Aulaire, Louise-Charlotte Victoire de, née Grimoard du Roure de Beaumont-Brison (1794-1874), seconde épouse du comte Louis Clair de Beaupoil, comte de Sainte-Aulaire.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 novembre 1854», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1854,mis à jour le : 20/02/2024