CECI n'est pas EXECUTE 7 juillet 1855

Année 1855 |

7 juillet 1855

Francisque de Corcelle à Alfred de Falloux

 

 

 

Essay, Orne 7 juillet 1855

Je commence, cher ami, car si j'attendais plus longtemps ce me serait une trop grande privation de n'avoir plus de vos nouvelles. Êtes-vous content de toutes les chères santé y compris la vôtre? C'est malheureusement une première question qu'il faut toujours vous adresser avec une certaine inquiétude. Ici nous allons tous parfaitement, grands et petits Le ménage Alexis [de Tocqueville], accompagné du charmant Ampère nous a donné une ravissante semaine. Maintenant nous ruminons notre plaisir dans la solitude. C'était le 20ème de l'Académie que nous possédions. J’ai pu constater avec joie que cette portion vous était fort acquise. D'eux mêmes, mes amis me l'ont vivement assuré. Je tiens leur disposition ou plutôt leur résolution comme un bon signe pour les autres. Il est probable qu'en septembre je serai amicalement obligé de rendre, dans la Manche, la bonne visite que nous avons reçue et cette fois encore je retrouverai Ampère. J'étais inquiet du silence de notre vénérable ami d’Orléans1 au sujet d'une épître de ma façon. Ce matin même, il me rassure et me dit que le tout doit être parvenu à son adresse. Je n'ai pas voulu rester au camp quand vous étiez à la tranchée. Voilà la seule raison qui ait pu me faire surmonter une assez vive répugnance à prononcer sur V[euillot] un jugement sévère. Il a toujours été bienveillant pour moi et le secret dans cette démarche me pèse. Si je le rencontrais je voudrais me mettre en règle avec lui pour un aveu qui concilierait le devoir avec les égards dont nos anciennes relations auraient fait un devoir préalable en d'autres circonstances. Je sais bien que cela n'est pas très commode à dire. Enfin, cher ami, il est si malheureux aujourd'hui que je me suis mis à le plaindre. Si ces accablements avaient devancé ma lettre, elle ne serait pas partie. Croyez-vous qu'ils le portent à se mieux pénétrer du Beati mites, et de l'excellence de la douceur « qui n'est pas tant une vertu distincte, dit Bourdaloue, qu’un tempérament général, une certaine constitution de l'homme intérieur qui le rend soumis à Dieu, tranquille en lui-même, et bienfaisant à l'égard des autres?" je le souhaite de tout mon cœur parce qu'il y retrouverait la sanctification de ses talents avec quelques consolation.

Où en est votre grande affaire du Correspondant? Ampère m'a parlé mais sans être bien au courant des nouvelles hésitations de M. Le N

Un M. du Belloy écrivait dernièrement dans l'Assemblée nationale que les 2 Scheffer, étant protestants, ne pouvaient faire de bons portraits parce que l'esprit de secte rend l'affirmation impossible avec la plume comme avec le pinceau. De pareils jugements affirment un bien violent esprit de coterie. Votre Saint-Augustin ne trouverait pas grâce auprès de M. du Belloy; mais cela s'appelle de la fusion et de la religion.

Nos récoltes normandes s'annoncent admirablement, sauf le cidre qui fera défaut pour la 3e année. Les fermiers s'enrichissent et sont très contents malgré les soucis de la Crimée. A peine s'inquiètent-ils de la possibilité des nouvelles levées d'hommes après celle qu'on demande pour le 1er janvier. Et encore la tendresse pour leurs enfants y a moins de part que la crainte d'une augmentation dans les salaires agricoles. Quant aux ouvriers, ils ont du travail ; mais ils paient leur nourriture si cher qu’on ne conçoit pas comment ils peuvent vivre avec la force de travailler. Cependant, ils se plaignent peu. C'est un des très remarquables effets du silence. Le mot de Mme de Staël2 qu'en France on ne conspire pas, mais que l'on s'encourage, et surtout vrai quand l'encouragement des journaux enrage sans cesse les esprits, car autrement la soumission n'a plus de limite, jusqu'à ce que les catastrophes surviennent.

Entre la fausse excitation de la presse et le sommeil dangereux d'un état despotique, le milieu sensé n'est pas aisé à trouver. Il n'y a guère que le Bon Dieu qu'on puisse pour le moment outrager à son aise. Ne pensez-vous pas qu'il finira par le trouver mauvais?

Le discours d'ouverture contraste fort avec celui où le jeune empereur d'Autriche était complimenté de sa chevalerie.

J’incline pourtant à croire que ces grandes affaires n'auront pas un dénouement précipité. La circonspection et la crainte seront longtemps encore la disposition des principales puissances. Elles ont tant à redouter les révolutions!

Notre gouvernement seul ne manque pas de hardiesse. Le passage où il est dit qu'il s'agit de reporter (et non de maintenir) la France au rang qui lui est du semble échappé de la poitrine de votre ami l'ambassadeur. 

En attendant, la Suède, le Danemark, Naples, presque tous les petits États, le Piémont excepté ; qui fait les affaires de l'Autriche en se saignant, se déclarent plus neutres que jamais.

Le roi de Naples, en particulier, est si créatif que sa défense récente d'exporter les produits de son royaume en Crimée semble prouver qu'il compte sur des alliés moins lointains que ceux de Russie.

Avez-vous de bonnes nouvelles du cher Rességuier? Envoyez-lui mes tendresses. Avant mon départ, j'ai passé cinq à six jours, sur les bords de la Marne, à l'ombre des noisetiers. Ils ont été sagement employés en paisibles conversations. Je puis vous assurer que je n'ai pas trouvé trace de dispositions dont vous croiriez avoir à gémir. Les renseignements étaient bons sur la famille. Veuillez dire à Madame de Falloux que Madame de Corcelles est complètement éprise d'elle. Joignez, je vous prie tous mes hommages et respects à cette assurance sans m'oublier auprès de votre cher et bonne fille.

F. C.

 

 

2Staël, Germaine Necker, baronne de (1766-1817).


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «7 juillet 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1855,mis à jour le : 06/03/2024