CECI n'est pas EXECUTE 18 septembre 1855

Année 1855 |

18 septembre 1855

Alfred de Falloux à Francisque de Corcelle

Bourg d'Iré, 18 septembre 1855

Hélas! Cher ami, je vous traite comme je suis traité moi-même par mes yeux et par mes névralgies qui me rendent de plus en plus difficiles les correspondances même qui me sont le plus douces. Je dois vous avouer en outre que j'avais cru lire dans votre dernière lettre, et j'y avais lu avec un très vif regret, que vous désiriez vous tenir à l'écart des suites données à votre envie de ce printemps. Vous m'écriviez d'abord que les malheurs privés survenus à Veuillot vous eurent détourné de cet envie s'il n'eut déjà été accompli; vous m'écriviez ensuite que M. Sauzet ayant été seul désigné nominativement, il fallait lui laisser le soin et la responsabilité de la réponse.
À cela, cher ami, je me proposais de vous répondre: 1° que l'Univers n'a rien modifié dans ses tendances et dans sa rédaction quoi que Veuillot y ait pris, depuis 3 mois, une part même quotidienne; 2° que M. Sauzet seul devait être nommé parce que seul il avait été en dehors de notre action commune. Que pour l'évêque de Orléans1 Montalembert et vous, vous étiez discrètement mais évidemment désignés à mon frère par ces mots: « Je reçois de votre frère et de quelques-uns de ses amis de pressantes instances pour... »

« Je demande à votre frère et à ses amis qu'ils m'envoient un mémoire à l'appui de leur lettres »
Ce langage plein à la fois de clarté pour nous et de réticence pour le commissionnaire m'avait même paru le signe le plus authentique de la Commission et je ne comptais pas vous faire grâce de mes pressantes observations dans la gravité périlleuse de votre mise à l'écart, mais je voulais auparavant vous apporter le faisceau des impressions des autres cointéressés. Voici ce qui en est arrivé.
Montalembert m'écrit de Contrexéville qu'il allait arriver au Bourg-d'Iré, puis, qu'il en était empêché et m’a envoyé en même temps par écrit de pressantes et chaleureuses instructions en offrant d'avance sa signature pour tout ce qui serait résolu ultérieurement. L'évêque d'Orléans m'a répondu de sa retraite des Alpes pour me donner rendez-vous le 21 de ce mois à Rochecotte où je vais me rendre ponctuellement. Il avait vu monsieur Sauzet dans le Lyonnais lequel s'annonce au Bourg d’Iré pour les premiers jours d'octobre. A ce sujet, Montalembert m'écrit : «j'ai les renseignements les plus sûrs et les plus curieux sur l'intime confiance que le Saint Père accorde à votre ancien président avec qui je suis tout prêt à entrer en relation si cela devient utile.»
Ceci m'a rappelé, cher ami, vos anciennes contestations avec lui sur le 24 février. Je les avais parfaitement oublié en vous écrivant de Caradeuc et j'ai pensé ensuite que vous vous en étiez mieux souvenu que moi en me répondant. Pendant toutes ces allées et venues de correspondance j'avais répondu à mon frère que je déferais sa lettre à chacun de ceux qu'elle concernait, que le concert ne serait pas aisé à établir par écrit dans l'état de dispersion où nous étions tous, quoique ce concert fut longuement établi d'avance dans les sentiments que pendant ce temps les menaces contre le Saint Siège allaient toujours croissant et par conséquent l'impopularité créée par l'Univers de plus en plus inopportune. C'est là, cher ami, la lettre dont vous parle Mgr d’Orléans. Cette lettre a été perdue ou confisquée à la poste, mon frère me l'a appris par de promptes lamentations sur mon silence, ajoutant que le Saint-Père l'avait plusieurs fois interrogé avec instance à ce sujet. J'ai réexpédié une seconde édition de ma lettre par une autre voie. J'en ai reçu l'accusé de réception hier, mon frère ajoute qu'il l'a aussitôt communiquée et qu'on lui a demandé de la garder en lui faisant observer qu'elle ne contenait pas le moyen pratique pour sortir d'embarras. J'ai répliqué dés hier même que j'avais compris qu'on nous donnerait un exposé général de situation et non un moyen pratique qui était du ressort des chancellerie et non du  nôtre; que du reste le moyen le plus sûr et le plus simple me paraissait un article dans la Gazette officielle et j'en ai donné le sens. Le tout de mon propre et privé nom et en faisant connaître que les difficultés prévues pour une prompte réunion n'avaient pas manqué de se réaliser. Je présume qu'on veut gagner du temps.

Voilà où tout en est, cher ami, de votre côté n'avez-vous rien reçu de celui auquel vous aviez écrit directement? Cela ne m'étonnerait pas si comme j'en suis convaincu on a cru et voulu vous répondre par le détour du Compitelli2 et du Bourg-d'Iré  combien tout cela exigerait de longues et intimes causeries! Si j'étais plus fort, je serai déjà allé vous trouver mais déjà au bout de mon rouleau quand j'aurai gagné Rochecotte qui n'est qu'a deux heures d'Angers! Combien je regrette de ne pouvoir porter durant quelques jours l'Anjou à côté de Broglie ou de Tocqueville! Mais je n'ose rien vous demander lorsque je vous vois conduit à vous éloigner encore un peu plus de nous et par de si puissante attractions. Je regrette bien qu'il ne me reste ni temps ni place pour vous dire tout le plaisir que m'a fait votre article trappiste. Je me suis fort étonné qu'il ne retentit pas dans nos journaux, mais réjouis qu'il fut dans les Débats. Aucun agriculteur ne fut plus que moi sur des terrains d'allusions. Je vous quitte pour aller au devant des Fresneau3 qui m'arrivent en gagnant la Bretagne. Cochin sort d'ici me laissant de bonnes nouvelles du Correspondant. Le duc de Valmy4 est venu aussi et est reparti avec Melun tous deux vous auraient fait plus de plaisir à entendre que vous ne l'imaginez. Mille tendresses aussi tendres que précipitées.

A. de F.

1Mgr Dupanloup.

2Un des 22 quartiers de la ville de Rome.

3Fresneau, Armand Félix (1823-1900), homme politique. La situation de son père (préfet) lui permit d’être appelé comme secrétaire particulier du ministre de l’Intérieur Duchâtel en 1847. Député de l’Ille-et-Vilaine à la Constituante et à la Législative où il siégea parmi les légitimistes, il abandonna la vie politique après le coup d’État. Candidat de l’opposition sous le Second Empire, il sera élu en 1863. Député de l’Assemblée Nationale en 1871, il devint l’un des membres les plus actifs du parti catholique et légitimiste. Il fut l’un des promoteurs de l’adresse d’adhésion au Syllabus. Il votera pour la démission de Thiers en 1873 et s’associera à toutes les mesures du gouvernement de Broglie et aux préparatifs de restauration monarchique. Convaincu que les orléanistes avaient fait obstacle à l’avènement du comte de Chambord, il rejoignit les légitimistes qui contribuèrent à la chute du gouvernement de Broglie.

4Kellermann, François Christophe Edmond, 3ème duc de Valmy (1802-1868), diplomate et homme politique. Il était alors en procès au sujet de la succession de la duchesse de Plaisance. Attaché d'ambassade dés 1827, il avait démissionné de son poste de diplomate en 1833 en désaccord avec le nouveau régime issu de la révolution de Juillet 1830. Conseiller du comte de Chambord, il deviendra peu après l'un des propriétaires de La Quotidienne, journal légitimiste. Élu à la Chambre des députés en 1839, en remplacement du duc de Fitz-James, décédé. En 1843, il fait partie du pèlerinage de Belgrave Square auprès du comte de Chambord et des cinq députés qui démissionnent pour protester contre l'emploi du mot « flétrissure » dans l'Adresse du 26 janvier 1844. Réélu en 1844, il ne se représentera pas aux élections générales de 1846. Rallié à l'Empire, il se consacra à la littérature politique.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 septembre 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1855,mis à jour le : 27/03/2024