Année 1859 |
3 décembre 1859
Alfred de Falloux à Francisque de Corcelle
Versailles 3 décembre 1859
Cher ami,
Je mets votre exemplaire1 à la poste en même temps que ce petit mot ; vous me ferez grand plaisir si vous voulez bien lire ces deux volumes comme un manuscrit et me transmettre vos observations pour une édition suivante. Le tirage de la première a été peu considérable afin de me laisser en mesure de profiter de tous les bons conseils. Seriez-vous assez bon pour m'envoyer d'ici là l'adresse de Gustave de Beaumont. Je voudrais perdre le moins de temps possible pour lui envoyer un exemplaire. Il m'avait écrit cet automne que Mme de Tocqueville2 était hors d'état de supporter la conversation ou la lecture sur le souvenir de son mari. Je n'ose donc lui envoyer Mme Swetchine avant d'avoir reçu vos instructions ou une autorisation de Gustave [de Beaumont]. Je voudrais répondre à votre bonne lettre par quelques nouvelles parisiennes ; mais je suis encore plus vide qu'un journal.
Je suis complètement absorbé dans notre installation à Versailles, dont nous sommes du reste enchantés, par mes rages de tête plus incommodes que jamais, et enfin par la correspondance qui résulte de l'envoi des exemplaires aux amis de Mme Swetchine et tous les points de l'Europe3 qui m'ont fourni ce dont vous allez jouir. C'est donc à vous plutôt, cher ami, que je demanderai si nous allons voir définitivement Mgr Chig4 à la place de Mgr Sacconi5 et le cardinal Antonelli6 à la table du Congrès7 pointant ses deux coudes entre Lord Palmerston8 et M. de Cavour9. Je prends pour bon augure ce que vous me dites des in-folio qui vous entourent ; j'espère que nous y gagnerons bientôt un beau livre. Vous savez sans doute que M. Sauzet publie le sien sous peu de jours, l'évêque d'Orléans10 peu après et enfin Fresneau11 sous ce titre : De la Constitution politique des États Pontificaux. Voilà de quoi oublier Eugène Veuillot ! Si l'on pouvait rire en un pareil sujet, je l'aurais vraiment fait, cher ami, en me voyant responsable dans votre lettre, d'un de ses méfaits envers vous. Je dois cependant vous dire que l'erreur qui est sans doute à vos yeux comme aux miens, la moindre de ses perfidies finit par rencontrer jusqu'à notre cher et de plus en plus regretté Tocqueville. Je n'ai eu, en fait de pièces diplomatiques que les fragments que je tenais de sa main, et je les ai lus à la tribune tels qu'ils m'avaient été remis, copiés dans son cabinet.
Mme de Montalembert est à Paris incognito depuis trois jours avec sa pauvre belle-sœur dans son appartement. Montalembert arrivera la semaine prochaine, non pour son procès qui n'a point encore pris une allure décisive, mais pour la tutelle de ses neveux. On dit sa santé meilleure après avoir été récemment et cruellement éprouvée. Veuillez, je vous en prie, faire agréer à M. de Chambrun12 ainsi qu'à M. et à Mme de Barberey13 mes excuses, mes bien sincères regrets, de ne pas leur offrir l'hommage de Mme Swetchine. J'ai été dépouillé en 24 heures au-delà de tous mes calculs. Ils y gagneront du moins, s'ils veulent bien me le permettre, de recevoir l'édition qui aura été améliorée par vous. Ma femme va maintenant aussi bien que son état le comporte. Elle joint pour vous, cher ami, son souvenir à mes tendres amitiés.
A. de F.