1884 |
20 juillet 1884
Albert de Broglie à Alfred de Falloux
20 juillet 1884
Cher ami, je veux vous remercier tout de suite de vos bons souhaits pour le mariage de mon fils1. C’est une union qui s’accomplit sous de très heureux auspices et qui promet tout le bonheur qu’on peut espérer en cette terre, c’est-à-dire, dans les meilleures conditions beaucoup d’incertitudes et peu de sécurité. Mais la jeunesse a été créée par Dieu pour recommencer toujours la vie en nouveaux frais, avec les mêmes espérances, les mêmes illusions et il faut espérer aussi les mêmes enseignements.
J’espère bien que la colère ne vous empêchera pas longtemps d’aller à Rome2 où j’espère un très bon effet de vos conseils. Je ne connais personne qui est plus que vous l’art d’agir par la conversation. Votre tâche sera difficile, car il faudra expliquer une situation complexe. Nous avons besoin ici de modération et de fermeté : il faut comprendre l’esprit public et ne pas prendre pour son organe les gouvernants d’aujourd’hui qui le faussent et le violentent. Jusqu’ici cette nuance n’a pas été bien comprise : on s’est tû plus que de raison, et on a parlé à faux. Vous m’impatientez un peu avec vos recommandations pour votre article sur l’abbé Lagrange3. De qui croyez-vous donc que le Correspondant puisse avoir peur et à qui vous sacrifierait-t-il ? Est-ce à M. de Kernaëret4 ou à Maurice d’Andigné5 ?
Mille amitiés tendres et les meilleurs souhaits dans ces temps d’épidémie. Veuillez présenter mes hommages à Madame de Castellane.
Albert
1Broglie, François Marie Albert de (1851-1939), militaire. Il venait d’épouser, le 10 juillet 1884, Jeanne Émeline Cabot de Dampmartin (1864-1901).
2Ce n’est qu’en février 1885 que Falloux effectuera son dernier voyage à Rome, voyage au cours duquel il s’entretiendra avec Léon XIII.
3Il s’agit de l’article de Falloux destiné à être publié par Le Correspondant du 10 août 1884, intitulé « La vie de Mgr Dupanloup par M. l’abbé Lagrange ».
4Kernaëret, Joseph Marie Chauveau de ( ?-1927), chanoine honoraire à Angers, enseignant à l’Université catholique d’Angers. Il faisait partie du petit groupe de légitimistes « purs » qui refusaient de reconnaître le comte de paris comme roi légitime. Il venait de lancer un groupe de pression, la ligue de la contre-révolution en collaboration avec Albert de Mun.
5D’Andigné, Maurice (1844-1926), ancien conseiller du Maine-et-Loire, légitimiste, il contestait les droits d’hérédité du comte de Paris au trône. Il dirige le Journal de Paris.
