CECI n'est pas EXECUTE 25 février 1879

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25 février 1879

Hilaire de Lacombe à Léon Lavedan

Orléans, 25 février 1879

Cher ami1,

Je vous félicite beaucoup d’avoir ajourné l’article2 d’Amédée Pontalis3. Je vous engagerai même à le relire tout à fait. Les raisons que vous me donnez sont péremptoires ; j’en ai trouvé l’expression chez bien des gens, hier encore chez un ancien député de la droite Monsieur Giraud, qui est conseillé à la cour d’Orléans.

Pour les procès-verbaux, rien aussi de plus <mol illisible> que votre résolution.

Je regrette seulement que vous ayez parlé de l’incident à Monsieur de Falloux. Il y a 8 jours vous m’aviez écrit tout naturellement pour me conseiller la signature, à cause, aviez-vous l’amabilité de me dire, du mérite et du succès de l’œuvre, et aussi à cause de Monsieur de Falloux. Sur ce dernier point, le seul qui me touche, je vous avais répondu que, conformément à ce que j’avais dit dès le principe à Mgr Dupanloup, je n’aurais jamais songé qu’à la seule fonction d’encadreur, procédant, même dans les louanges que par citations d’autrui, laissant toujours la parole aux auteurs, faisant une œuvre absolument impersonnelle, et où la critique aurait peine, par là-même, à relever une impression particulière. J’ajoutais qu’en ce qui concernait Monsieur de Falloux vous éveilliez en moi un scrupule, et que, si vous persistiez dans votre opinion, j’étais tout prêt à signer ce que j’avais déjà signé tant de fois. Je n’ai presque jamais écrit dans le Correspondant, à propos de Changarnier, de Monsieur de Montalembert etc. sans parler de Monsieur de Falloux, et dans mon article sur le scrutin de liste, en 1874, j’écrivais : « France chrétienne, qui, depuis un quart de siècle voit ses enfants par milliers grandir sous la bénédiction du prêtre pour se répandre ensuite dans nos armées, dans nos flottes, dans toutes les professions de notre société, n’oublie pas les hommes qui, dans des jours d’orage ont conquis pour toi ce trésor : Mgr Dupanloup, Monsieur de Falloux, Monsieur de Montalembert, et, avec eux Monsieur Thiers dont les obscurités de l’heure présente ne peuvent voiler les anciens services ! La reconnaissance est la vertu et la joie des gens de bien. »

Je ne vous mettais à ma signature qu’une condition absolue, c’est qu’elle ne serait pas un motif pour faire ajourner la publication des articles de mon frère, publication qu’il m’est pénible et inexplicable de voir différer ou de ne voir apparaître qu’à force de lettres et d’instances.

J’ajoutais enfin, mais sans y insister, que je serais peu tenté de paraître en compagnie des articles de Pontalis, dont je prévoyais le caractère.

J’attendais une réponse de vous, vous n’aviez qu’à me dire que vous persistez dans votre sentiment, et je vous télégraphiais : mettez ma signature. M’étonnant de ne rien recevoir de vous, j’écrivais même hier à Monsieur de Vogüe pour lui dire de signer de mon nom l’article. Vous voyez que mon opposition n’était pas bien grande, et qu’un mot adressé, non au Bourg d’Iré mais à Orléans vous eut satisfait.

Voici maintenant, écrivez-vous, de Meaux qui soulève une autre objection. Celle-là est plus grave et me donne fort à réfléchir.

Il est parfaitement vrai qu’à la dernière séance de la commission de 1849, Monsieur de Falloux ayant demandé s’il ne conviendrait pas de faire imprimer ou simplement orthographier les procès-verbaux parce que cela pourrait être utile pour la discussion du projet de loi, Monsieur Thiers répondit : je suis tout à fait contraire à cette publicité. Monsieur de Falloux n’insista pas alors sur sa proposition.

Suivant Mgr Dupanloup à qui j’avais très vivement posé la question, et je pense aussi suivant Monsieur de Falloux qui, dans ses articles sur l’évêque d’Orléans réclamait cette publication, et qui m’a pressé et remercié de l’entreprendre, l’interdiction demandée par Monsieur Thiers ne concernait qu’une publicité immédiate. Monsieur Thiers lui-même ne pouvait penser que de la discussion donc plusieurs procès-verbaux pris sous ses yeux, existaient, resteraient indéfiniment secrètes, et qu’après 30 ans écoulées elles ne verraient pas le jour. Très affectueusement respectueux pour la mémoire de Monsieur Thiers, j’ai eu désir de l’honorer, et pour lui, pour Monsieur Cousin et pour tous, j’ai pris soin d’omettre les passages et même d’adoucir les expressions dont la malhonnêteté de tous les partis aurait pu triompher contre eux.

Cependant je ne me dissimule pas que l’objection de C. de Meaux qui est gendre et représentant de l’un des membres de la commission, peut-être faite par d’autres ; que les accusations d’indiscrétions, d’abus de confiance, etc. peuvent m’être adressées ; que Monsieur Dupanloup ne sera plus là pour dire quels ont été le sens et les limites de la clause invoquée.

J’aurais l’air de ce dont j’ai horreur ; je ne veux pas plus manquer à Monsieur Thiers mort que je ne lui ai manqué vivant. Je l’ai souvent contredit ; insulté ou trahi, jamais. Et ce que je dis pour lui, je le dis pour tous les membres de la commission, sans exception.

Cela étant, mon cher ami, je vous remets ce travail, faites-en ce que vous voudrez ; consultez MM. de Broglie, de Meaux, les membres du Correspondant. Qu’on le supprime tout à fait, qu’on retranche ce qu’on voudra dans les citations ou dans les commentaires, etc. je n’y trouverais rien à dire ; ayant entrepris ce travail par pur dévouement, même avec le regret de quitter les travaux que j’ai aimés, je ne veux pas que tout cela finisse par être pour moi une source d’amertumes.

 

Hil Lacombe

 

1Lettre adressée à Henri Lavedan, alors rédacteur en chef du Correspondant.

2A. Lefèvre-Pontalis avait publié L’Assemblée nationale et M. Thiersdans le Correspondant du 10 février 1879.

Antonin Lefèvre-Pontalis (1830-1903), homme politique. Auditeur au Conseil d’État, il collabora à la Revue des deux mondes et au Journal des Débats. Élu au Corps Législatif en 1869, prit place dans le Tiers Parti. Élu de Seine et Oise à l-Assemblée nationale de 1871, il se fit inscrire à la réunion Feray. Après avoir soutenu Thiers il se rapprocha de la droite et soutint Broglie et le Septennat. Après plusieurs échecs il parvint à se faire réélire en 1885 (Nord).

3Voir lettre d’A. De Falloux à Lavedan du 27 février 1879 in Correspondance d’Alfred de Falloux avec Léon Lavedan (1862-1886), Édition établie présentée et annotée par Jean-Louis Ormières, Paris, Honoré Champion, 2013, 2. vols.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 février 1879», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1879,mis à jour le : 26/11/2022