CECI n'est pas EXECUTE 27 juin 1880

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27 juin 1880

Hilaire de Lacombre à Alfred de Falloux

Montmarin1, 27 juin 1880

Bien cher ami...

Depuis notre séparation l’affaire de la souscription a éclaté dans les journaux. J’ai su par l’Union de l’Ouest que l’Univers et ses amis avaient trouvé moyen de vous mêler à ce débat. En revanche je viens de lire le compte rendu d’un discours de M. de Margerie2, doyen de la faculté catholique de Lille qui, ces jours-ci, à Blois, citait sans sourciller et en vous nommant votre mot sur les républicains capables de rien et les autres ou les mêmes capables de tout.

Avez-vous lu la vie de Monsieur de Melun3 dont nous parlions à Paris ? J’en ai été attristé. L’auteur est un prêtre4 orléanais qui était fort aigre à l’égard de Mgr Dupanloup qu’il accusait de ne pas lui faire une situation égale à son mérite ; il était aumônier du lycée d’Orléans et il quitta cette fonction pour aller professer à l’Université catholique de Lille. Il ne connaissait pas Monsieur de Melun, c’est là son excuse. Mais ce qui m’a donné une impression pénible c’est que non seulement M. de Melun n’est pas présenté sous le vrai jour de sa vie et de son âme, mais que sa mémoire serve ainsi à calomnier les hommes et les choses qu’il a aimées. Mgr Dupanloup est, dans ce livre, un homme dont Mgr Affre5 aurait dit qu’on ne pouvait rien faire ni avec lui ni sans lui. Madame Swetchine qui protégeait si maternellement dom Guéranger est entachée de gallicanisme. Les catholiques du Correspondant faisaient leur second Dieu des immortels principes de 89 (p. 462). Le P. Gratry que M. de Melun a tant admiré est odieusement caricaturé. J’avoue que tout cela fait mal ; ce sont des procédés que les gens de monde ne se permettraient pas. Depuis 1867, année où je passais avec M. de Melun un mois d’intimité à Saint-Gervais6, nous avons eu ensemble les plus étroites relations. J’ai de lui une série de lettres dont quelques-unes admirables pour l’absolu détachement de la pensée planant au-dessus de tous les préjugés et de toutes les conventions. Il n’était pas l’homme qu’on nous montre ; il était plus hardi que moi, allant jusqu’à croire, non seulement à la démocratie qui est notre état social définitif, mais à la république pour la conduire. Il m’écrivait quelques jours après la proclamation du dogme de l’infaillibilité, qu’elle aurait pour conséquence, qu’il acceptait la séparation de l’Église et de l’État, le pontifex maximus et l’imperator ne pouvant se cumuler ensemble. Je conçois bien ou plutôt je conçois à la rigueur que pour éviter de sottes querelles, on ne réveille par ces questions, quoiqu’elles donnent à la noble figure de M. de Melun un caractère supérieur d’originalité. Mais ce qui est inadmissible, c’est que, en ce contentant de défigurer M. de Melun, on lapide avec son souvenir ceux qui furent ses frères, ses compagnons et ses amis.

H. de Lacombe

1Montmarin, propriété de la famille Marin de Montmarin, située sur la commune de Sargé-sur-Braye dans le Vendomois (Loir-et-Cher).

Hilaire Mercier de Lacombe avait épousé en 1863, Noémie de Marin de Montmarin (1831 - 1908), comte de Lacombe.

2Amédée de Margerie (1825-1905), philosophe et écrivain. Professeur de Philosophie à la Faculté des Lettres de Nancy, il démissionne à l’arrivée, en 1880, des Républicains au gouvernement, et devient doyen de la Faculté Catholique de Lille.

3Abbé Louis Baunard, Le vicomte Armand de Melun. D’après ses mémoires et sa correspondance, Paris, Poussièlgue Frères, 1880, 613 p. Voir ce qu’en dit Falloux dans une lettre du 29 juin 1880 à son ami Jules de Bertou.

4Baunard, Louis (1828-1919), vicaire, puis chanoine de la cathédrale d’Orléans. Docteur en théologie, essayiste, il collaborait au Correspondant.

5Affre, Denis-Auguste (1793-1848), prélat. Ordonné prêtre en 1818, il servit comme vicaire général de 1823 à 1833 dans le diocèse de Luçon puis das celui d'Amiens. En 1839, il fut nommé évêque coadjuteur de Strasbourg. Nommé archevêque de Paris l'année suivante, il accepta pleinement l'avènement de la Seconde République en 1848. Voulant ramener la paix au sein des barricades, il sera atteint par une balle et décédera quelques instants plus tard.

6Saint-Gervais-les Bains, station thermale de Haute-Savoie.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «27 juin 1880», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1880,mis à jour le : 02/12/2022