Année 1856 |
16 novembre 1856
Alfred de Falloux à Charles de Montalembert
Angers,16 novembre 1856
Cher ami,
Votre lettre me rejoint à Angers où j’arrive de mon côté revenant de Rochecotte, chez Madame de Castellane. J’y avais offert un rendez-vous à l’évêque d’Orléans1 qui n’a pu l’accepter. J’avais essayé de cette excursion espérant que le changement d’air diminuerait mes maux de tête. Cela m’a réussi en effet durant huit jours puis la fatigue a repris le dessus, et je sors à grand-peine de mon lit ce matin avec un grand rhume et après 24 heures de mes douleurs les plus aiguës. Il m’est donc toujours démontré que je suis incapable de rien autre chose que de regagner mon gîte à la hâte et d’y demeurer coi. Je viens d’écrire à Orléans la même doléance.
Arrivons maintenant au plus pressé. Je passe par-dessus la question du secrétariat.
Pour écrire convenablement à M. Dufaure sur une pareille matière, il me faudrait un peu de faculté de travail, car je ne puis lui parler en déshabillé. Je n’ai conservé aucune ombre de relation avec lui depuis le ministère2 où nous nous supportions réciproquement ; rien de plus. Puisque vous allez le voir, ayez donc la compassion de lui dire en mon nom tout ce que vous lui direz du vôtre. Veuillez lui faire remettre par Fontaine3, de ma part un exemplaire de ma seconde édition en faisant écrire dessus par le même Fontaine dont l’écriture est accoutumée à passer pour la mienne, toute dédicace que vous voudrez. Il y a la trois ou quatre pages sur l’ultramontanisme et la situation moderne du clergé. Si vous le lui signalez, cela m’unira bien naturellement à votre très juste appréhension d’un plaidoyer gallican.
Je suis bien amplement de votre avis aussi, cher ami, sur ce que nous avons traité trop légèrement (moi en particulier) l’affaire de la brochure, mais par contre ne laissez pas le ou les personnages qui vont maintenant entrer en scène commettre quelques étourderies à notre sujet. Nous avons été confidents. On nous a demandé le secret le plus absolu. Nous l’avons scrupuleusement gardé. Il serait plus qu’indélicat qu’on ne nous le gardât pas à son tour. En outre des mini inconvénients qui en rejailliraient sur nous-mêmes et sur le Correspondant, il en résulterait certainement un péril pour le procès. On voudra montrer en outre les partis politiques, leurs complots, tout ce qui enfin peut mettre un ministère public à l’aise dans une cause où il devra se trouver fort embarrassé de soutenir l’Univers tout cru et ses doctrines. Il importe donc bien que M. Dufaure montre le clergé, l’Eglise non gallicane, mais intelligente et calme repoussant une solidarité désastreuse tantôt <mot illisible> tantôt violemment imposée; il montre en même temps l’Univers repoussé par la société laïque en même temps que désavoué par des membres éminents de l’Eglise. Cette répulsion de la société laïque religieuse à son organe dans le Correspondant ; que là où nous sommes on nous mette en avant dans notre mission réelle, dans notre action véritable à visage découvert ; là on nous fera selon moi beaucoup d’honneur. Nous n’avons rien à ménager, ni à craindre et cela nous place tout à fait en dehors du procès, tout en nous laissant au cœur de la cause elle-même.
Voilà, cher ami, ce que je développerais si j’étais près de vous et si vous l’approuviez. Je le remets donc entre vos mains pour valoir ce que de raisonnable. Soyez tranquilles pour moi vis-à-vis d’Albert de Broglie.
Mon volume a-t-il pu arriver à M. Michel en remerciement ? Vous donnerez nous du Melun dans le prochain numéro. Pontmartin n’est-il pas fâché, nous le rendrez vous bientôt ? Plaignez-moi et aimez-moi.
Alfred
P.S. Je rentre au Bourg d’Iré demain matin.
2Falloux et Dufaure ont fait partie du premier ministère Barrot sour la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte.
3Secrétaire de Falloux.
